La Bible revisitée par l’Empire
Rodolphe KREUTZER
(1766 - 1831)
La Mort d'Abel
Pierre-Yves PRUVOT (Adam), Jennifer BORGHI (Eve), Sébatien DROY (Abel), Jean-Sébastien BOU (Caïn), Katia VELLETAZ (Méala), Yumiko TANIMURA (Tirsa), Alain BUET (Anamalech), Choeur de Chambre de Namur, Les Agrémens, dir.: Guy van WAAS
2012-DDD-55’ 27’’ et 35’ 48’’-Textes de présentation en français et anglais-chanté en français-Palazzetto Bru Zane – Ediciones Singulares ES 1008
Kreutzer? Pour tout mélomane, ce nom évoque trois dédicaces: celle d’une sonate pour violon et piano de Beethoven, d’un roman de Léon Tolstoï et d’un quatuor à cordes de Janacek. Ce Kreutzer était en effet un illustre violoniste français, à ne pas confondre avec son homonyme allemand Conradin (1780-1849), auteur de Singspiele et de lieder. Rodolphe Kreutzer brilla surtout en tant que violoniste, (quelques concertos -parmi 19- sont parus chez Naxos), mais écrivit également bon nombre de partitions lyriques qui connurent le succès. Ainsi, par exemple, Astyanax dont Véronique Gens interpréta un air splendide dans son anthologie Tragédiennes 3 (Virgin), Paul et Virginie dont l’ouverture a été enregistrée par deux fois (Lo Ré et Malgoire), et cette Mort d’Abel, présente dans le coffret “200 ans de musique à Versailles” (MFB) avec un air déjà chanté par Pierre-Yves Pruvot. Il n’est donc pas tout à fait inconnu. Mais il était bon de l’entendre à présent dans une oeuvre complète et importante. Créée à l’Académie Impériale de Musique en 1810, l’œuvre reçut un bon accueil malgré les critiques concernant le livret: porter des personnages bibliques sur scène était osé. Kreutzer remania sa partition en 1825, version ici adoptée. Le livret, sobre, retrace les premiers instants de la famille initiale, la jalousie de Caïn envers son frère Abel, et le meurtre final, premier homicide de l’humanité. Chaque épouse soutient son mari, mais le démon Anamalech hante Caïn et le pousse au crime. La trame est peu dramatique, et le premier acte, proche de l’oratorio, s’en ressent. Le finale cependant, fort beau, culmine par une scène chorale infernale puis par une belle prière d’Adam. Le second acte, au contraire, est tragique : prélude orchestral se souvenant de La Création de Haydn, récit d’un beau sentiment et magnifique air du sommeil, îlot de poésie. Toutes les scènes suivantes, entre le démon et Caïn puis entre les deux frères, proviennent directement de l’Iphigénie en Tauride de Gluck, modèle d’opéra insurpassé à l’époque. Très fort engagement des interprètes, particulièrement masculins (Pruvot en Adam et Bou en Caïn). Et quel plaisir d’entendre chanteurs et choeurs si bien articuler la langue française! Guy Van Waas entraîne le glorieux choeur de chambre de Namur et ses Agrémens dans une lecture aussi pertinente que raffinée et ressentie. Décidément, après la Sémiramis de Catel, le répertoire français du début du XIXe siècle a la cote! A quand Ossian ou les Bardes de Lesueur ou un nouveau Joseph de Méhul?
Bruno Peeters
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10