Une histoire sans fin… et magique

par

« Der Freischütz » de Carl Maria von Weber, dirigé par Laurence Equilbey et mis en scène par Clément Dutilleul & Raphaël Navarro –

L’œuvre romantique fondatrice de l’opéra allemand ? Radicalement déspatialisée, radicalement détemporalisée, magique ! Au diable le kitsch forêts sombres, villages-colombages, culottes de peaux ! Place au concept. Dont la concrétisation visible convainc heureusement plus que les textes dramaturgiques qui prétendent le justifier.

Laissons-nous aller à notre bonheur de spectateur. Nous retrouvons le pauvre Max qui doute de ses talents de chasseur et redoute de ne pas réussir l’épreuve qui lui permettra non seulement de devenir le garde-chasse du prince, mais ainsi d’épouser la tendre Agathe. Il accepte la proposition de « balles franches » que lui fait le sinistre Kaspar, en dette d’âme avec le diabolique Samiel. 

Clément Dutilleul et Raphaël Navarro, les metteurs en scène, ont plongé tout cela dans une obscurité profonde qui déroute pas mal ceux qui attendaient les lumières et obscurités contrastées d’une nature forestière et d’une « Gorge-aux-loups ». Le plateau est nu. Cette volonté de déréalisation, de déspatialisation, de détemporalisation est bienvenue. Elle nous confronte en fait à une histoire sans fin, typique de l’éternelle tendance humaine à accepter tous les moyens, fussent-ils les plus diaboliques, pour accomplir rêves et désirs.

Scéniquement, le récit s’anime grâce à de véritables tours de magie : corps qui rebondissent, s’élèvent et flottent dans les airs, libérés de toute pesanteur, balles de fusil devenues boules de lumières, traits lumineux qui zèbrent l’espace, miroirs aux reflets surprenants, hologrammes, ombres chinoises, surgissements-effacements. Voilà qui immerge le spectateur dans un univers féerique où les vieux trucs d’hier se sont enrichis des technologies d’aujourd’hui. On en a plein les yeux, on s’en réjouit. Le conte revit.

D’autant que -n’oublions pas que nous sommes à l’opéra- la partition est exaltée par les intonations que lui confère Laurence Equilbey à la tête de son ensemble Insula Orchestra et de son Chœur Accentus. Et que les solistes la magnifient par la séduction de leurs timbres (notamment le Max de Tuomas Katajala, l’Agathe de Johanni van Oostrum, l’Ännchen de Chiara Skerath, le Kaspar de Vladimir Baykov). La fête est aussi bel et bien musicale.

Mais tout cela, qui réjouit à sa découverte spontanée, renvoie à une lecture dramaturgique du trio composé par les deux metteurs en scène et leur dramaturge, Valentine Losseau dont les fiches biographiques soulignent leur qualité d’anthropologues. Une fois de plus, et c’est pour cela que nous nous y arrêtons, cette « lecture », qui « fait le lien avec le thème de l’écologie, de la dégradation de l’environnement et la question de la déforestation », qui affirme qu’« à l’impermanence de la musique répond l’immatérialité de la magie » n’est réellement « sensible » pour le spectateur que s’il l’a lue. Il voit et comprend alors ce qu’on lui dit de voir et de comprendre, le « mode d’emploi » de la représentation, et pas ce qu’il voit en fait et ressent avec toute son attention de spectateur. C’est dans la représentation que l’on trouver ce qu’elle signifie, pas dans la brochure de soirée !

N’empêche, quel beau conte musical et scénique que cette histoire magique sans fin !

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques :  Julien Benhamou

Luxembourg, Grand Théâtre, le 8 octobre 2019 

 

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