Ryan Wang, un talent précoce qui s’exprime dans Chopin
Frédéric Chopin (1810-1849) : 24 Préludes, op. 28 ; Andante spianato et Grande Polonaise brillante op. 22. Ryan Wang, piano. 2023. Notice en français et en anglais. 56’19’’. L’Esprit du piano EDP 11.
Les Préludes me fascinent parce qu’ils sont peut-être l’œuvre la plus complexe de Chopin. Il s’agit de vingt-quatre autoportraits du compositeur dont chacun nécessite de révéler, en un minimum de temps, la profondeur sensible de l’artiste. Celui-ci dit tant dans ses Préludes que cela représente un défi immense. Ces propos de Ryan Wang sont au cœur de son entretien (sept pages) avec Stéphane Friédérich, qui sert de notice au présent album. Excellente idée de laisser s’exprimer longuement ce jeune interprète canadien, à l’occasion de son premier enregistrement, reflet de deux concerts publics en l’église de Saint-Léon, à Anglet, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, puis à l’Université Bordeaux Montaigne (les Préludes), les 22 octobre et 22 novembre 2023. Initiative que l’on salue d’autant plus que Ryan Wang n’a que seize ans et qu’il est une incarnation de la maxime « la valeur n’attend pas le nombre des années ». Ce premier témoignage est en effet des plus attachants.
Le jeune Ryan Wang, originaire de Vancouver (°2008), étudie dans sa ville natale dès 2013 avec Lee Kum Sing, un élève de Magda Tagliaferro ; sa formation se poursuit en Angleterre, au collège d’Eton dirigé par Gareth Owen, où il est encore scolarisé, mais aussi à Paris avec Jia Zhong. Il a intégré la classe de Marian Rybicki, héritier des traditions polonaise et française, à l’École normale de musique. Ryan Wang a remporté quelques concours, dont l’International Jeune Chopin à Lugano en 2023. Il compte à son actif une série de concerts, au cours desquels le Polonais est souvent à l’affiche, Concerto n° 1 y compris.
Avant les Préludes, cette étoile montante du piano propose sur le présent album l’Andante spianato et Grande Polonaise brillante, commencée à Varsovie, poursuivie à Vienne, publiée en 1836, un an après que Chopin l’ait jouée en public à Paris, au cours d’un concert organisé par le chef d’orchestre François-Antoine Habeneck. On sait que les deux parties ont été écrites séparément avant d’être réunies. Ryan Wang joue l’Andante spianato sur un ton de confidence rêveuse, offrant à ces cinq minutes d’atmosphère poétique raffinée le loisir de distiller leur tendresse. Un temps de silence (lire dans la notice ce que dit le pianiste de ces moments auxquels il attache de l’importance) précède la virtuosité de la Grande Polonaise brillante, dans laquelle Wang se laisse aller, sans emphase et sans grandiloquence, mais en mettant l’accent sur le côté héroïque qui sous-tend le propos.
Cette efficace introduction aux Préludes op. 28 qui suivent (mais il s’agit de deux concerts différents, à un mois d’intervalle) prépare le terrain d’une « approche narrative et poétique » de ces pages de la deuxième moitié de la décennie 1830, dont certaines ont été composées lors du séjour à Majorque. Ryan Wang confie à son interlocuteur qu’il est très attiré par les poètes anglais du début du XIXe siècle, en particulier Shelley et Byron, maîtres du désespoir dont les vers relient si bien leurs mots aux notes de Chopin. Il insiste sur la notion de cycle qu’il y perçoit, comme autant d’histoires à raconter, tout en conservant la qualité de musique pure. À l’audition, c’est un art chaleureux qui domine, une caractéristique qui n’oublie pas le modèle qu’est Bach, mais accorde à chacun de ces instants, souvent brefs, sa particularité et sa sonorité spécifique. Le discours global contient sa part de respiration et de concentration. On ne peut s’empêcher d’apprécier l’instinct immédiat d’un artiste dont la maturité est déjà affirmée, notamment dans ce qu’il définit lui-même comme les phases expressives du 17e au 24e Prélude.
On apprécie la technique, tout autant que l’absence de théâtralité, le dépouillement souvent présent, la rêverie qui n’occulte pas la part de douleur contenue, de même que la fluidité qui s’installe régulièrement, notamment dans de superbes n° 4, 7, 9, 13 et 15, ce Sostenuto plein de consolation nocturne, que l’on a qualifié, comme le n° 6, de gouttes d’eau. Malgré son jeune âge, Ryan Wang fait la démonstration d’une éloquence intériorisée et généreuse, naturelle et sincère. Voici un artiste dont il va falloir suivre la carrière avec la plus grande attention.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix