L’archet intense et lumineux de Johanna Martzy

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Johanna Martzy joue des Concertos pour violon et des Sonates de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) ; Johannes Brahms (1833-1897) ; Antonin Dvořák (1841-1904) ; Felix Mendelssohn (1809-1847) ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et Franz Schubert (1797-1828). Johanna Martzy, violon ; Jean Antonietti, piano ; RIAS Symphonieorchester Berlin, direction Ferenc Fricsay ; Philharmonia Orchestra, direction Paul Kletzki ; Kammerorchester des Bayerischen Rundfunks, direction Eugen Jochum. 1952-1955. Notice en allemand et en anglais. 421’25’’. Un coffret de six CD Profil Hänssler PH22080. 

Le nom de la violoniste hongroise Johanna Martzy ne figure pas parmi les grandes étoiles du violon qu’un mélomane citera spontanément. Est-ce l’effet d’une carrière d’une durée réduite, qui s’étale de façon continue sur un peu plus de vingt ans avant une éclipse pour maladie dans les années 1960, au cours desquelles elle ne se produira plus qu’avec parcimonie ? A moins que ce ne soit la conséquence d’une discographie limitée, qui a fait l’objet pendant longtemps de recherches acharnées par les collectionneurs de vinyles, avant qu’à l’ère du CD, plusieurs labels (Coup d’archet, Testament, Audite, Doremi, Tahra, DG, Warner, Milestones) ne documentent enfin son art. Dans le premier tome de son ouvrage Les grands violoniste du XXe siècle (Buchet-Chastel, 2011, Jean-Michel Molkhou la définit avec raison comme « ressuscitée par le disque ». Le présent coffret, au choix bien sélectionné, la présente dans la période la plus faste et la plus féconde de sa carrière, les années 1952 à 1955.

Née en 1924, Johanna Martzy se révèle dès son plus jeune âge comme un talent prometteur et étudie à Budapest auprès du maître Jenö Hubay, violoniste réputé et compositeur. Ce dernier disparaît lorsqu’elle atteint l’âge de treize ans, moment où elle commence à se produire sur scène. Après avoir remporté deux compétitions, dont le Concours Hubay en 1941, elle joue sous la baguette de Willem Mengelberg. Mais la guerre va changer son destin. Après des péripéties, elle se réfugie avec son premier mari en Suisse, où elle remporte un concours à Genève en 1947. Elle signe un contrat avec Deusche Grammophon, puis avec Walter Legge. Elle connaît le succès jusqu’aux Etats-Unis, et joue sous la direction de Kraus, van Kempen, Klemperer, Sawallisch, Cluytens ou Bernstein. Anticommuniste, elle refuse de se produire dans les pays de l’Est, ce qui lui vaut une cabale à Edimbourg en 1960, la Philharmonie tchèque refusant de se produire avec elle sous le prétexte fallacieux d’une supposée collaboration avec les pro-nazis pendant la guerre. Sa carrière va peu à peu s’étioler, même si elle se produit encore en concert et acceptera une prestation à Budapest. Elle décède des suites d’un cancer à Zurich en 1979, à moins de 55 ans.

Johanna Martzy a joué un Guarnerius et un Stradivarius, mais sa prédilection allait à un violon Carlo Bergonzi de 1733, le « Tarisio », que lui avait offert le collectionneur Daniel Tschudi qui allait devenir son second mari. C’est avec ce « Tarisio » qu’elle effectuera la plupart de ses enregistrements. Si sa discographie est relativement mince, elle est de qualité. Le coffret Profil Hänssler est significatif ; comme toujours avec ce label, les commentaires sont réduits à des éléments biographiques, mais la précision est là au niveau des dates de prises de son. Il propose quatre concertos du grand répertoire. C’est d’abord celui de Dvořák, gravé à Berlin pour la DG du 10 au 12 juin 1953, avec le RIAS-Symphonieorchester mené avec fougue par Ferenc Fricsay. Nous partageons l’avis de Jean-Michel Molkhou (o.c., p. 248) : Par sa vibrante intensité, la parfaite métrique de son jeu et la pureté de ses timbres, la violoniste en livre l’une des visions les plus intenses de la discographie. Quelques mois auparavant, en novembre 1952, toujours pour DG, Eugen Jochum accompagnait Johanna Martzy à Münich dans un Concerto n° 4 KV 218 de Mozart engagé, au son profond et nimbé de lumière. Le passage chez EMI permet deux enregistrements avec le Philharmonia mené par Paul Kletzki. Le concerto de Brahms, capté du 15 au 17 février 1954, révèle la nature romantique de la soliste, avec un Adagio séduisant et un final incisif. Quant à celui de Mendelssohn des 20 et 21 décembre 1955, il offre des envolées vertigineuses dans le premier mouvement, le reste de l’œuvre étant marqué par une expressivité sans faille. 

Ces concertos se caractérisent tous par la pureté du style, que l’on retrouve dans le duo que Johanna Martzy forme à la même époque avec le pianiste amstellodamois Jean Antonietti (1915-1994). En juillet 1952, la Sonate KV 376 de Mozart et la Sonate n° 8 op. 30 n° 3 de Beethoven montrent la belle entente qui s’est installée à l’aune de ces deux univers musicaux. Mais ce sont surtout les pages de Schubert de novembre 1955 qui signent une entente d’une absolue complicité. Les trois Sonatines F. 384, 385 et 408, le Rondeau brillant D. 895, la Fantaisie D. 934 et la Sonate D. 574 sont des modèles d’équilibre, d’aisance chaleureuse et de chant raffiné. Les deux derniers disques du coffret sont réservés à Bach, abordé en soliste par la virtuose. On y trouve les Sonates et les Partitas, gravées à Londres en 1954/55. Si la pudeur et l’effacement sont manifestes, si la douceur et l’émotion sont souvent présentes, Johanna Martzy impose, grâce à ses qualités techniques, une vision au timbre soyeux, bien caractéristique d’une substance musicale qu’elle arrive ainsi à mettre en évidence.

Voilà un coffret digne de cette virtuose de haut vol dont la production discographique est tout à fait digne de figurer sur le premier rayon des grands violonistes du XXe siècle. Profil Hänssler a bien remastérisé les gravures d’origine, qui étaient de qualité. Le prix démocratique est un autre atout pour cette proposition.

Son : 8  Notice : 4  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 



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