Joseph Moog, face à Liszt 

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Le pianiste Joseph Moog, Prix « Jeune Artiste » des ICMA 2012, marque les esprits avec un parcours discographique et des choix de répertoire qui explorent de nombreux territoires -parfois rares- du répertoire, tant en récital qu’avec orchestre. Il sort ce mois-ci un enregistrement consacré à des pièces de Franz Liszt, partitions majeures de l’Histoire de la musique et du répertoire pianistique. 

Votre nouveau disque est entièrement axé sur Liszt ? Pourquoi avez-vous choisi ce compositeur ? 

Franz Liszt est un artiste et une personnalité diverse et complète que j’ai toujours profondément admirés. Regardez l'ensemble de son travail, le développement de son langage musical, les centaines d'étudiants qu'il a inspirés, sa riche vie personnelle et les nombreuses lettres qu'il nous a laissées ! 

Depuis mon enfance, j'essaie de comprendre ce phénomène. Plus je m'occupais de sa musique et de sa vie, plus je voyais clairement qu'il était poussé par une quête de toute une vie et cela expliquait les énormes contrastes qui entouraient cet artiste. De sa vie dévolue à son ordination d'abbé, du romantisme à l'Impressionnisme, de la sensualité à la spiritualité, tout est né de cette quête de réponses aux grandes questions de la vie.

Inspiré par le Zeitgeist (« l’Esprit du temps »), Goethe et Dante, il tente de mettre en musique la coexistence de la lumière et des ténèbres, du Yin et du Yang, bon ou mauvais. Liszt est tellement de choses mais, très certainement, il était un vrai philosophe illustrant la symbiose des contrastes de sa vie. C'est ce qui fait la vitalité de son art jusqu'à ce jour et c'est ce que j'ai essayé de dépeindre avec mon nouvel album.

Le répertoire de piano solo de Liszt est énorme. Pourquoi avez-vous choisi ces partitions particulières (Dante Sonata, Piano Sonata en si mineur, S. 178, deux légendes S. 175, Csardás Obstinée S. 225) ? 

Pour dessiner un portrait de Franz Liszt et de son art, j'ai dû choisir quelques-unes de ses œuvres, et les sonates et légendes me semblent former un merveilleux contraste. 

Toutes les œuvres choisies marquent une évolution au sein de l'œuvre de Liszt : la Sonate de Dante fut l'une des premières pièces représentant un nouvel usage orchestral du piano, imitant les tremoli, percussions et même les cors et les cuivres.

La Sonate en si mineur est sa composition la plus enchevêtrée et la plus personnelle, et elle nous amène au carrefour de la musique programmée et de la musique absolue. Les Légendes sont deux des plus beaux exemples de sa spiritualité et de sa préparation de l'impressionnisme musical.

La Csardàs Obstinée est à la fois une pièce bonus -comme un rappel en récital- et le signe d'une autre colonne importante de la vie de Liszt : ses racines hongroises.

La Sonate en si mineur est l'un des monuments de la musique pour piano. Comment avez-vous préparé cet enregistrement ? Avez-vous écouté les enregistrements des grands pianistes du passé ? 

Quand je prépare des enregistrements, je n'écoute jamais les interprétations existantes, ni en studio ni en concert. La partition et mon intuition sont les seules références qui comptent pour moi. Ce n'est pas de l'ignorance ou de l'arrogance, c’est simplement la façon la plus efficace de créer ma propre vision d'une oeuvre musicale. 

Pour jouer et enregistrer la Sonate en si mineur, j’ai attendu d’être prêt et cela a pris un certain temps. Pour moi, ce travail représente la perfection : inspiration, maturation et développement prennent chacun leur place et se conjuguent en un équilibre parfait.

Vous explorez l'éventail complet du répertoire pianistique (Debussy, Scarlatti, Strauss, Rachmaninov...). Comment choisissez-vous ces compositeurs qui vont dans des directions opposées ? 

La diversité de la musique classique m'a toujours étonné et je me sens béni, comme pianiste, de pouvoir bénéficier de la plus vaste des œuvres instrumentales qui soit. Enfant, j'ai commencé à collectionner des partitions, des disques et des livres sur la musique mais, plus important encore, j'ai été autorisé à les explorer à volonté. 

Développer des concepts et créer des programmes, c’est une passion, autant qu'une interprétation ou la scène. Je suis reconnaissant d'avoir eu la chance de documenter ce parcours au fil des enregistrements, de ma discographie. Àujourd’hui, je tiens à remercier Sabine Fallenstein de SWR2 d’avoir partagé mes idées et soutenu mes projets.

Vous intéressez-vous aussi au répertoire contemporain ? 

En effet. Je suis une personne curieuse et je suis intéressé par la suite de l'histoire de la musique. J'ai régulièrement inclus des œuvres contemporaines dans mes concerts et j'ai collaboré avec de nombreux compositeurs de notre temps comme Thierry Escaich, Nicolas Bacri, Wilfried Maria Danner, Daniel Andres ou Jörg Widmann.

Je compose aussi, j’essaie de trouver les réponses à ce que pourrait être l'avenir de la musique. Toutefois, il s'agit d'un intérêt plus personnel et je le partage rarement avec le public.

Cette saison, vous ferez vos débuts avec l'Orchestre Symphonique de Chicago. Qu’est-ce que cela signifie pour un artiste ? 

L'Orchestre Symphonique de Chicago est un ensemble incroyable et sans doute l'un des meilleurs orchestres du monde. L'un de mes enregistrements préférés, avec le Poème de l'extase et Prométhée de Scriabine dirigé par Pierre Boulez, met en scène le CSO. J'ai vraiment hâte de rejoindre l'orchestre pour la Burleske de Richard Strauss et pour quatre concerts sous la direction du maestro Emmanuel Krivine.

En 2012, vous avez reçu le prix du « Jeune artiste de l'année » des ICMA. Quels souvenirs gardez-vous de l'événement ? Qu'est ce prix a signifié pour vous?

Le Prix ICMA en 2012 a été un grand soutien et la confirmation que ma conception de la musique pourrait être partagée avec succès. J'ai encore de beaux souvenirs de la cérémonie de remise des Prix à Nantes où j'ai rencontré pour la première fois Krzysztof Penderecki, Jean-Efflam Bavouzet, John Axelrod et de nombreuses autres grandes personnalités du monde de la musique. Par ailleurs, je suis toujours reconnaissant d'avoir reçu cet honneur de la part d’un Jury international et de son Président Remy Franck. 

Le site de Joseph Moog : www.josephmoog.com

Franz Liszt (1811-1886) : Sonate en si mineur, Deux légendes, Années de pélérinages : deuxième année.S.161, Cśardás obstinée. Joseph Moog. 1 CD ONYX

 

 

Crédits photographiques : T Mardo

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

 

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