Lausanne redécouvre Mam’Zelle Nitouche

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Pour le grand public d’aujourd’hui, qui est Hervé, alias Louis-Auguste-Florimond Ronger né à Houdain le 30 juin 1825 et mort à Paris le 3 novembre 1892 ? Pourquoi est-il considéré comme le père de l’opérette, titre que pourrait lui disputer son rival et ami Jacques Offenbach ? Cette assertion est en fait légitime puisque, durant les cinquante-cinq années qui s’écoulent entre L’Ours et le Pacha donné à Bicêtre en 1842 et Le Cabinet Piperlin joué à l’Athénée le 17 septembre 1897, le musicien a produit plus de 120 ouvrages légers en s’illustrant particulièrement dans un genre, le vaudeville-opérette. Créé triomphalement au Théâtre des Variétés le 24 janvier 1885, Mam’Zelle Nitouche en est le dernier fleuron important ; car il constitue pratiquement un véritable testament musical.

Divisé en trois actes selon un livret habile d’Henri Meilhac et Albert Millaud, le sujet est d’une extrême cocasserie : Célestin, l’organiste du Couvent des Hirondelles, troque chaque soir sa blouse noire contre une jaquette colorée pour devenir Floridor, musicien à succès cultivant la veine légère. Son élève, Denise de Flavigny, apparemment confite en dévotion, joue les ‘sainte Nitouche’ en le suivant au théâtre ; elle s’y impose de force en personnifiant Mam’Zelle Nitouche pour séduire un lieutenant de dragons, Fernand de Champlâtreux qui finira par l’épouser. En filigrane, l’on peut déceler une note autobiographique puisque le compositeur lui-même était, en 1847, organiste à Saint-Eustache tout en campant un acteur lyrique sur une scène de Montmartre.

A l’Opéra de Lausanne, Eric Vigié, son directeur, a donc décidé de braquer les feux sur la carrière d’Hervé en cette saison où il présente d’abord Mam’Zelle Nitouche avant de proposer Les Chevaliers de la Table Ronde, datant de 1866, lors de la tournée de la Route lyrique durant l’été. Et l’an prochain, l’on pourra établir une comparaison avec deux des ouvrages de Jacques Offenbach. Pour trois représentations, cette Mam’Zelle Nitouche reprend le spectacle du Palazzetto Bru Zane coproduit par huit salles lyriques françaises, tout en faisant appel au Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé par le chef de chant Jean-Philippe Clerc et à l’Orchestre de Chambre de Lausanne remarquablement dirigé par Christophe Grapperon. Sous de brillants éclairages conçus par Bertrand Killy, l’on s’en donne à cœur joie dans un ouvrage qui vous fait passer allègrement de la tribune d’orgue d’un couvent miteux aux coulisses d’une salle de province, selon la fantaisie de Pierre-André Weitz qui a élaboré la mise en scène, les décors, costumes et maquillages. On le sait collaborateur régulier d’Olivier Py qui, ici, préfère se travestir d’abord en une inénarrable Mère Supérieure avant de pousser la chansonnette sous les traits de Corinne, la star sur le retour, outrageusement personnifiée par sa Miss Knife et de finir sous la vareuse bleue du si touchant sergent Loriot. La jeune Lara Neumann joue les fines mouches en campant une novice psalmodiant de son joli timbre qu’elle pimente de provocante ironie lorsque, en un tour de main, il faut devenir une divette de ‘caf’conc’. Tout aussi convaincant est Damien Bigourdan, organiste convenu égrenant les litanies puis auteur bouffe dépassé par son succès. En Vicomte de Champlâtreux, Samy Camps a la réserve timide de l’amoureux transi, alors qu’Eddie Chignarra affiche la morgue bougonne du Major. Antoine Philippot et Pierre-André Weitz (eh oui ! toujours lui) sont efficaces en tant que directeur de théâtre et régisseur de scène, tandis que Sandrine Sutter troque adroitement son obséquiosité de sœur tourière venue d’outre-Rhin contre les fanfreluches de Sylvia, venue rejoindre ses compagnes de turbin Lydie et Gimblette (Clémentine Bourgoin et Ivanka Moizan). De l’escadron militaire se profilent les officiers Gustave et Robert (Pierre Lebon et David Ghilardi) qui se laisseront attendrir par deux fuyards en mal de reconnaissance. Lorsque le rideau tombe, le public follement diverti manifeste bruyamment sa joie, et tant mieux !

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, le 11 janvier 2019

Crédits photographiques : Alan Humerose

 

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