Le Belgian National Orchestra et Roberto González-Monjas s’illustrent à Manchester

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Pour son ambitieuse tournée britannique (huit concerts en autant de jours en Angleterre, en Ecosse et au Pays de Galles), le Belgian National Orchestra avait fait le choix de la bonne tactique pour un ensemble qui doit encore asseoir sa réputation dans un pays au public connaisseur et où les bonnes formations symphoniques ne manquent pas. 

D’abord, comme allait le montrer le concert dans la belle salle du Bridgewater Hall à Manchester, choisir un répertoire équilibré avec une petite surprise (en l’occurrence le quasi inconnu Preludio, Corale e Fuga de Respighi) ainsi qu’une grande symphonie justement populaire mais pas trop rabâchée, comme la Troisième Symphonie de Saint-Saëns. Mais lorsque la réputation de l’orchestre et du chef -pour talentueux qu’ils soient- ne suffiraient sans doute pas à attirer en nombre un public qui ne les connaît guère, la présence d’un soliste prestigieux est certainement un atout pour inciter les mélomanes à se rendre au concert. D’autant plus qu’une indéniable curiosité était soulevée par le fait de voir Paul Lewis, pianiste réputé intellectuel -mais aussi régional de l’étape (Liverpool n’est qu’à 50 km de Manchester)- s’attaquer à ce grand cheval de bataille romantique qu’est le Premier Concerto de Tchaïkovski, œuvre flamboyante où on n’attendait guère cet interprète au tempérament plutôt posé et réfléchi. Hélas pour les amateurs de sensations pianistiques fortes, le soliste se blessa légèrement à la main avant le concert, ce qui entraîna le remplacement de l’œuvre de Tchaïkovski par le Concerto N° 25, K. 503 de Mozart qui figurait par ailleurs au programme d’autres concerts de cette tournée. Résultats des courses : le programme de cette soirée mancunienne était exactement le même que celui donné à Namur le 29 octobre et chroniqué dans nos colonnes par notre collègue Timothée Grandjean, ce qui permettra de faire l’économie de la présentation des œuvres et de se concentrer davantage sur l’interprétation des œuvres.

Tout d’abord, quelques mots sur le Bridgewater Hall, belle salle de 2400 places, inaugurée en 1996. Correctement remplie avec un public très attentif, on y observe une réverbération plus marquée que dans la grande salle Henry Le Bœuf de Bozar, port d’attache de la formation bruxelloise. 

Dès les premières musiques du Preludio, Corale e Fuga, travail de fin d’études d’une étonnante maîtrise formelle et d’une belle richesse d’orchestration d’un Respighi qui avait déjà travaillé avec Rimski-Korsakov, l’orchestre fait excellente impression sous la direction précise et élégante de son premier chef invité Roberto González-Monjas. Les cordes chantent dans le Prélude, les cuivres s’illustrent dans le Chorale -où l’on trouve un beau dialogue entre le violon solo et la harpe- avant que la Fugue dont on croit qu’elle va connaître une fin apaisée ne se conclue sur un bref et impressionnant crescendo. 

D’une certaine façon, la popularité amplement justifiée de Paul Lewis a quelque chose de mystérieux. Car voici un pianiste qui a priori ne fait rien pour plaire, se contentant d’entièrement mettre son immense talent au seul service de la musique avec d’exceptionnels moyens techniques qui vont de pair avec une humilité réelle. Dans ce si beau concerto de Mozart, on apprécie directement l’égalité des traits comme la sobriété du propos chez un interprète qui réussit à combiner un naturel désarmant à une véritable réflexion. L’Andante mené avec éloquence, sobriété et cette absence voulue de séduction couplée à une captivante façon d’arriver infailliblement au cœur de la musique, alors que le Rondo final est un magnifique moment de joie et de détente, où Paul Lewis remplit chaque phrase de vie. La technique est magnifique et la régularité des traits n’a jamais rien de raide ni de mécanique. Le si poignant épisode où le piano dialogue avec les excellents vents du BNO est superbement rendu et on admire ici une fois de plus la façon dont le soliste sait se fondre dans l’orchestre, très finement dirigé par un Roberto González-Monjas aussi sûr que subtil.

Si les prestations de la première partie reçurent un accueil positif mais poli, c’est sur de bruyantes ovations que s’acheva la Troisième symphonie de Saint-Saëns où tant l’orchestre que le chef se montrèrent sous leur meilleur jour. Roberto González-Monjas est un chef qui sait aussi bien galber une phrase et soigner les détails qu’assurer une vraie cohérence symphonique à la tête d’un orchestre qu’il a visiblement conquis et qu’il mène avec autorité et intelligence, assurant à tout moment une parfaite clarté du discours. Quant à la contribution de l’orgue (joué ici par Darius Battiwalla), elle s’intégra sans difficulté dans l’Andante comme dans le majestueux Finale

Conclusion : voici un orchestre tout à fait exportable sous la direction d’un jeune chef plus que prometteur. 

Manchester, Bridgewater Hall, le 7 novembre 2022.

Patrice Liebermann

Crédits photographiques : BNO

 

 

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