Somptueuse Staatskapelle de Dresde, Sol Gabetta incandescente et Tugan Sokhiev magistral

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La Staatskapelle de Dresde n’est peut-être pas aussi connue du grand public européen que les Philharmonies de Berlin et de Vienne, ou que le Concertgebouw d’Amsterdam. Et pourtant... Fondé en 1548, il est peut-être le plus ancien orchestre encore en activité au monde. Il est absolument splendide, avec, en particulier, des cordes qui peuvent rivaliser avec les meilleures formations de tous les continents par leur profondeur et leur chaleur.

Au programme de ce concert à la Philharmonie de Paris, le Premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch (avec Sol Gabetta), et la Septième Symphonie de Bruckner, sous la direction de Tugan Sokhiev.

Le public toulousain connaît bien ce chef d'orchestre russe, qui avait succédé à Michel Plasson, et donné à l’Orchestre du Capitole, qu’il a dirigé pendant presque vingt ans, une dimension réellement internationale.

Quant à Sol Gabetta, on ne la présente plus. Depuis plusieurs années, elle enthousiasme régulièrement le public parisien de ses interprétations à la fois très personnelles et respectueuses du texte. L’une de ses caractéristiques est la variété de son vibrato, autant dans son intensité que dans sa constance. Et puis, avec son violoncelle de Matteo Gofriller (1725), elle trouve des sonorités étonnantes. Par moments, on se demande quel instrument on entend...

Dmitri Chostakovitch a écrit son Premier Concerto pour violoncelle en 1959, pour et avec Mstislav Rostropovitch. Il est l’une de ses œuvres les plus populaires (plus que le Deuxième, ce qui est tout à fait injuste pour celui-ci), et porte sa signature dans tous les sens du terme : du point de vue artistique, parce qu’il est très caractéristique de ce compositeur, et sur un plan beaucoup plus concret, puisqu’il utilise, en de nombreux passages, son fameux motif ré-mi bémol-do-si, c'est-à-dire, en langage musical, D-S-C-H, soit, en notation allemande, les initiales de Dmitri SCHostakowitsch.

Dans l’Allegretto qui sert d’introduction aux trois mouvements suivants, qui seront enchaînés, les bois de la Staatskapelle de Dresde sont incisifs, presque acides. Le cor, seul cuivre de l’effectif instrumental pour toute l’œuvre, ne cherche pas non plus le beau son. Tout cela sert idéalement le propos du compositeur, et avec le jeu incandescent de Sol Gabetta (ce qui n’est pas une surprise), l’ensemble est tendu à craquer.

Contraste extrême avec le Moderato : le cor est sublime, d’une richesse de timbres telle que l’on n’ose même pas le rêver ; la soliste fait preuve d’un lyrisme étale, à la fois bouillonnant et statique, tel un océan avant la tempête : calme en surface, tumultueux dans les profondeurs. Elle est incomparablement soutenue par l’orchestre (clarinette inspirée, cordes à la hauteur de leur réputation). Un épisode irréel, où elle joue en harmoniques, accompagnée du célesta, mène tout droit à la longue Cadenza (comme Chostakovitch l’avait fait dans son Premier Concerto pour violon une dizaine d’années plus tôt). Sol Gabetta y est stupéfiante de maîtrise technique, et surtout pour être ainsi capable de tenir en haleine tout le public (de même que l’orchestre, visiblement captivé). Elle nous porte vers l’Allegro con moto, au sarcasme typique de Chostakovitch, ici joué à fond autant par la soliste et par le chef d'orchestre. Quelle énergie collective !

Pour redescendre, Sol Gabetta retrouve, le temps d’un bis, sa complicité avec le célesta, avec un arrangement de Nana (extrait de la Suite populaire espagnole pour violon et piano - elle-même arrangée d’après les Sept chansons populaires espagnoles pour voix et piano). Comme une courte prière, tout en sérénité.

Après l’entracte, la Septième Symphonie d’Anton Bruckner, qui, elle aussi, bénéficie d’un traitement de faveur auprès des orchestres et du public. En plus d’avoir été largement utilisée par Luchino Visconti, l’un des cinéastes les plus érudits sur le plan musical, pour son film Senso en 1954, elle est aussi, des neuf (chiffre fatidique) symphonies de ce compositeur, l’une des plus accessibles (avec la Quatrième). Et puis, l’une de celles qui a subi le moins de transformations, ce qui simplifie, pour le chef d'orchestre, le choix de l’édition.

Son effectif a une particularité : tout comme dans le Concerto de Chostakovitch, il y a huit bois (ce qui est habituel pour Bruckner, mais peu au regard de l’impression que donne son orchestre qui sonne toujours avec beaucoup de générosité). En revanche, le cor n’est plus le seul cuivre, puisqu’au contraire ils sont quinze (cors, trompettes, trombones, mais aussi quelques raretés) !

L’Allegro moderato fait la part belle aux cordes, absolument somptueuses, d’un velouté et d’une homogénéité idéales. Tugan Sokhiev dirige (sans baguette) avec beaucoup d’expressivité, privilégiant les grandes phrases (le légendaire legato des cordes de la Staatskapelle de Dresde est ici divin), et s’il donne du relief et fait bien ressortir certains motifs enfouis dans l’orchestration, ce n’est jamais au détriment du discours général.

C’est dans l’Adagio que sont mis en valeur les raretés annoncées : quatre tubas wagnériens, et un tuba contrebasse. Ce sont eux qui, au tout début, permettent aux cordes, par leur capacité à se fondre dans le son de l’orchestre, de se lancer dans de longues mélodies d’une profondeur poignante. Puis on les retrouve, seuls, avec cette sonorité si particulière, souple et noble, avant de laisser les cordes s’épanouir dans une sérénité toute printanière. Tugan Sokhiev est très attentif aux équilibres. Et, toujours, ces longues phrases envoûtantes...

Dans le Scherzo, Tugan Sokhiev donne du corps à la sonorité de l’orchestre, qui sait cependant aussi se montrer merveilleusement léger quand l’orchestration devient plus aérée. Quant au Finale, le chef lui donne, au début, un caractère presque ludique. Mais aussi, par la suite, beaucoup de lyrisme, tour à tour éperdu et retenu.

C’est une évidence : tout le monde n’aime pas Bruckner. Il est l’un des compositeurs qui suscite le plus de passions, positives comme négatives. Mais là... Comment ne pas adhérer totalement ? Sans doute, faut-il une certaine capacité de s’abandonner, qui n’est pas donnée à tous. Ce concert était une formidable occasion de s’y essayer.

Paris, Philharmonie (Auditorium Pierre-Boulez), 27 mai 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : Charles d’Hérouville

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