Le Moyen-Âge et le fantastique au cœur d’un récital de Florian Sempey

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Ferrum splendidum. Airs d’opéras d’André-Ernest-Modeste-Grétry (1741-1813), Gaetano Donizetti (1797-1848), Carl Orff (1895-1982), Ambroise Thomas (1811-1896), Romain Dumas (°1985), Charles Gounod (1818-1893), Giacomo Meyerbeer (1791-1864) et Richard Wagner (1813-1883), et extraits orchestraux de Piotr Ilitch Tchaïkovsky (1841-1893), Vincent d’Indy (1851-1931) et Richard Wagner. Florian Sempey, baryton ; Yoann Le Lan, ténor ; Chœurs de l’Opéra National de Bordeaux ; Orchestre National Bordeaux-Aquitaine, direction Victor Jacob. 2024. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes reproduits en langue originale, avec traductions. 70’ 47’’. Alpha 1104. 

C’est sous un mystérieux titre en latin qu’est placé le nouveau récital de Florian Sempey pour Alpha, après un excellent « Figaro ? Si ! Rossini » chez le même en 2022. Le baryton bordelais en livre la signification dans un entretien qui sert de notice. Il explique qu’il a été attiré par le Moyen-Âge, le fantastique et tout ce qui s’y rapporte depuis sa plus tendre enfance. Brocéliande en Bretagne, où il passe une semaine chaque année, des lieux spécifiques en Gironde ou au Mont-Saint-Michel lui sont familiers. La traduction du titre, « métal resplendissant », fait écho à ses origines familiales, dont un grand-père forgeron qui travaillait le métal en fusion : Je voulais qu’on entende le mot « fer » dans le titre, dit-il. Le parallèle avec sa voix coule de source : elle a été forgée, pendant des années, avec mon maître-forgeron qu’est Maryse Castets, ma professeure de chant, le but étant qu’elle soit solide, résistante et brillante. Ce qui la définit bien.

Né en 1988, Florian Sempey étudie le piano, puis le chant à Libourne, avant le Conservatoire de la ville de Bordeaux, dont il est originaire, dans la classe de la soprano Maryse Castets, qui s’illustra à l’Opéra de Paris au cours des années 1980. Dès ses 21 ans, il est Papageno sur la scène bordelaise, avant d’être intégré à l’Atelier Lyrique de Paris. Le rôle de Figaro, qui lui convient comme un gant et qu’il chante de façon passionnée et jubilatoire, le fait connaître partout en Europe. Son talent s’exerce aussi dans le baroque (Rameau), chez Mozart, dans le domaine du belcanto, ou encore chez Bizet ou Gounod. Pour le présent album, c’est la thématique du chevalier, qui fait l’objet de clins d’œil en couverture, que le baryton a ciblée. Avec succès. 

Les capacités vocales de Sempey, dont la puissance, l’engagement et la vaillance font partie, ainsi que la richesse du timbre et la qualité de la diction, sont mis en valeur dès le début du programme, qui s’ouvre avec le fameux air de Blondel, « Ô Richard, ô mon roi », extrait du premier acte de Richard Cœur de Lion (1785) de Grétry. Si les deux airs tirés de Lucia di Lammermoor de Donizetti (« Quel air sombre /D’un amour qui me brave » et « À moi viens, ouvre tes ailes »), où le ténor Yoann le Lan lui donne la réplique, paraissent un peu en retrait, la voix est bien en place dans trois moments des Carmina burana de Carl Orff, et dans des airs très nuancés du Hamlet de Thomas (« Ô vin, dissipe la tristesse », « La fatigue alourdit mes pas ») ou dans Roméo et Juliette de Gounod (« Mab, la reine des mensonges »). 

Mais ce qui est vraiment remarquable, c’est Meyerbeer, avec la « puissante magie » du Pardon de Ploërmel, où le baryton retrouve la forêt de Brocéliande qu’il aime tant, ainsi que Tchaïkowsky et son Enchanteresse, dont la scène finale du Prince est chantée en russe dans un contexte très dramatique, qui fait encore intervenir le ténor. Le Wolfram de Tannhäuser qui s’épanche, dans l’Acte III, pour saluer la belle étoile du soir (« O du mein holder Abendstern ») est proposé avec lyrisme. On notera encore la mise en lumière d’un extrait de l’opéra, non encore monté, de Romain Dumas, composé en 2019 et consacré aux mirifiques aventures de l’ambigu chevalier d’Éon, sous le règne de Louis XV. Sempey y fait étalage de sa verdeur et donne envie d’en savoir plus sur cette œuvre de notre temps.

Ce récital confirme le talent d’un baryton ardent et généreux, qui a mis sur pied un projet cohérent auquel il donne de la personnalité, de la fougue et des caractérisations bienvenues. Il est accompagné par les excellents chœurs bordelais (pour hommes, puis mixte) pour Orff et Dumas, et par l’Orchestre de Bordeaux-Aquitaine, dirigé par le jeune Français Victor Jacob, qui a été chef assistant du Philharmonique Royal de Liège et de Gergely Madaras entre 2019 et 2002, avant de faire de même au National de Lille auprès d’Alexandre Bloch. Voilà une personnalité à suivre : il est attentif aux voix et les pages orchestrales sont de qualité : le final de l’Acte I de La Belle au bois dormant de Tchaïkovsky, entre les deux extraits des Carmina burana, le prélude de l’Acte III de Fervaal de Vincent d’Indy juste avant l’air de Gounod, et, bouquet final, le prélude de Lohengrin de Wagner.

Le présent album, qui met en évidence une des belles voix de notre temps, est dédié à la si regrettée Jodie Devos, dont le souvenir nous occupe encore tout entier.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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