Le patrimoine populaire du Norvégien Eivind Groven

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Eivind GROVEN (1901-1977) : Symphonie n° 1 op. 26 « Vers les montagnes » ; Symphonie n°2 op. 34 « Minuit »., direction Peter Szilvay. 2020. Livret en anglais et en norvégien. 55.45. Naxos 8. 573871.

Compositeur, éditeur et passionné par la musique traditionnelle de son pays natal, le Norvégien Eivind Groven étudie au Conservatoire d’Oslo. Originaire de la région centrale, issu d’une famille de musiciens dont plusieurs membres de sa fratrie pratiquent le violon Hardanger ou le chant, il s’initie lui-même à l’archet au cours d’une longue maladie vers l’âge de seize ans. Il échappera de peu à la mort. A partir de 1931, il est chargé à la radio nationale d’une émission sur la musique traditionnelle de la Norvège ; il quitte son poste lors de l’occupation allemande suite à un différend avec Joseph Goebbels. Collectionneur invétéré et arrangeur des pages qu’il découvre, il rassemblera près de deux mille pièces du patrimoine dont il se fera l’écho dans ses partitions. De santé fragile, Groven souffre de la maladie de Parkinson dès 1964. A côté de nombreux arrangements de musique populaire, il est notamment l’auteur d’un concerto pour piano et de deux symphonies, qui font l’objet du présent CD Naxos. 

Parmi les compositeurs norvégiens du XXe siècle, Groven est sans doute celui qui s’est le plus concentré sur les apports de la musique nationale, la transformant avec subtilité, sans citations directes. Il perçoit les liens entre la lointaine tradition de la Renaissance (il aime Josquin Desprez et Jacob Obrecht) et le développement des danses, estimant notamment, dans un article, que celles-ci sont comme des mouvements de sonates, avec des motifs principaux, des idées subsidiaires et des variations riches. Dans ses compositions, il tente de combiner la structure de la danse avec les formes familières, se référant pour cela à Bela Bartok. Il entreprend aussi des recherches acoustiques afin de définir « la tonalité juste », allant jusqu’à faire construire dans l’église de la Sainte-Trinité d’Oslo un orgue approprié qu’Albert Schweitzer essaie et apprécie lorsqu’il reçoit le Prix Nobel en 1954. Groven est aussi inspiré par la littérature. Sa Symphonie n° 1 « Vers les montagnes », écrite en 1937 et révisée en 1950, trouve une de ses sources dans l’œuvre de son compatriote Hans Ernst Kinck (1865-1926) -qui a rencontré un grand succès en Angleterre et en Allemagne- et une réponse à ses propres préoccupations, faites d’analyse de l’âme et de la nature norvégiennes, mais aussi de préoccupation de la faille entre le monde urbain et le monde rural. Groven tentera de combler cet état de fait sociétal à travers le contenu de ses émissions radiophoniques. La symphonie de Groven ouvre des horizons paisibles, dans une orchestration travaillée avec fluidité qui accorde de l’importance au cantabile. L’influence de Kinck se concrétise en particulier dans le Largo, le troisième mouvement, au côté sombre et dramatique, introduit par un tuba. Le personnage de Hinck, qui s’appelle Vraal, se tient au sommet d’une montagne un soir de printemps et éprouve de la douleur face à la gestion du monde dont il n’arrive pas à saisir la logique. Dans le premier mouvement, Groven utilise un thème qui a remporté en 1937 un concours destiné à choisir le signal identitaire de la radio norvégienne : celui de Groven servira pendant près d’un demi-siècle et a entraîné une autre appellation pour la partition, nommée aussi « Symphonie du signal ». A l’audition, l’oeuvre, à laquelle le compositeur a apporté des modifications à plusieurs reprises, apparaît toutefois sans grand relief. C’est en partie dû à l’interprétation qu’en donne l’orchestre de la cité au passé portuaire de Kristiansand, confié à Peter Szilvay, qui fut l’assistant de Mariss Jansons au Philharmonique d’Oslo. En 2006, un CD BIS de l’Orchestre Philharmonique de Stavanger, autre phalange norvégienne, conduite par Eivin Aadland, y apportait plus d’élan et plus de couleurs, mais surtout plus de grandeur.

La Symphonie n° 2 « Minuit », écrite entre 1938 et 1943, fut créée en octobre 1946, peu de temps avant que Groven ne la dirige lui-même à Oslo. Son climat semble un peu mieux convenir aux interprètes, même si le souffle est court et si des longueurs apparaissent ; les motifs, encore inspirés par des accents de la tradition nordique, avec de grands passages lyriques, culminent dans l’Allegro final, de forme sonate, avant de se conclure dans un contexte jubilatoire. On admettra cependant que, dans le cas de ces symphonies dont la portée populaire et dansante devrait être soulignée avec clarté, il ne s’agit pas ici d’une interprétation de premier rayon et que ces jalons de la musique norvégienne du XXe siècle mériteraient un sort meilleur.

Son : 8  Livret : 8  Répertoire : 7  Interprétation : 7

Jean Lacroix

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