Le piano du Finlandais Selim Palmgren, entre Chopin et impressionnisme

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Selim Palmgren (1878-1951) : Etude de concert ; Deux contrastes ; Valse dans le style finnois occidental ; Brume de printemps ; 3 Klavierstücke op. 32 ; 3 Préludes op. 84 ; 24 Préludes op. 17. Jouni Somero, piano. 2020. Notice en anglais et en allemand. 67.37. Grand Piano GP868.

Après un premier volume consacré à l’œuvre pianistique de Selim Palmgren, et plus spécifiquement à la période des premières compositions entre 1892 et 1906 (dont plusieurs en premières mondiales discographiques), le label Grand Piano propose un deuxième album de cet élève de Busoni, né à Pori dans le sud-ouest de la Finlande, dans une famille de commerçants qui, malgré les obstacles financiers que cela représentait, facilita les dons du jeune homme. La décision est prise de l’envoyer à Helsinki pour étudier au Conservatoire. Le jour de son arrivée, le 25 mai 1895, il assiste à un récital de Busoni (1866-1942) qui l’enthousiasme. Après le Conservatoire, Palmgren se rend à Berlin où il devient l’élève de Busoni, mais aussi de Conrad Ansorge (1862-1930) qui avait étudié avec Franz Liszt. De retour en Finlande, il sera successivement chef de chœur puis directeur de la Société de Musique de la cité de Turku. Il donne des récitals de piano ; on le retrouve au début des années 1920 en tournée aux Etats-Unis. Il enseigne la composition et le piano à Rochester, dans l’Etat de New York, pendant cinq ans. Nommé à l’Institut Sibelius d’Helsinki en 1939, il y enseignera jusqu’à son décès. En premières noces, Palmgren avait épousé la soprano Maikki Pakarinen (1871-1929,) divorcée du compositeur et ami de Sibelius Armas Järnefelt (1869-1958), qui avait introduit les opéras de Wagner en Finlande. Il se remaria ensuite avec une élève de sa première femme, la chanteuse estonienne Minna Talwik (1902-1983).

Le répertoire de Selim Palmgren est vaste : deux opéras, de la musique orchestrale et concertante (dont cinq concertos pour piano), de la musique de ballet, des mélodies et de très nombreuses pages pour le piano. Dans Une histoire de la musique finlandaise (Paris, Adéfo/L’Harmattan, 2019) que l’on doit à Henri-Claude et Anja Fantapié et que nous avons recensé dans ces colonnes le 31 août 2020, on peut lire ceci (p. 114) : Selim Palmgren fut appelé aussi le Chopin et le Schumann du Nord. Bien que soulignant les éléments romantiques dans sa musique, ces épithètes ne doivent pas dissimuler qu’il soit aussi celui qui introduisit l’impressionnisme en Finlande. Brillant pianiste, un territoire qui n’était pas celui de Sibelius, il fit de l’instrument et de son répertoire son domaine. Les auteurs ajoutent : Son impressionnisme ne semble pas influencé par la musique française de l’époque mais plus par celui de Chopin. Ce deuxième album, qui s’inscrit dans une plus vaste période de création, à savoir entre 1899 et 1928, avec une incursion (incertaine) vers 1940, confirme cette approche de l’art pianistique de Palmgren.

L’interprète d’aujourd’hui, le Finlandais Jouni Somero (°1963), a étudié en Suisse et à Cologne. Il a été soutenu par György Cziffra et Michael Ponti, a beaucoup vécu en Allemagne et mène depuis 1990 une carrière de soliste avec, à son actif, une centaine de disques, notamment pour Naxos, Sony BMG ou FC Records. Il s’intéresse à des compositeurs méconnus ou négligés, comme Blumenfeld, Bortkiewicz ou Kuula, mais aussi à Alkan, Godowski ou Rubinstein. Mettre en évidence son compatriote Palmgren coulait de source. Le programme commence par une courte Etude de concert de 1906, charmante pièce dansante, ici en première discographique mondiale. Il en va de même pour la mini-Valse dans le style finnois occidental, date inconnue, publiée en 2006 seulement, d’influence populaire, et pour la minuscule Brume de printemps des environs de 1940. C’est le moment où Palmgren choisit de quitter Helsinki, bombardée par les avions soviétiques dès novembre 1939, pour trouver le calme à Naantali, une cité médiévale proche de Turku. Les 3 Klavierstücke de 1912 (peut-être un peu antérieures) complètent ces premières mondiales. Dans l’ensemble de ces pages, l’influence de Chopin se confirme, dans un style agréable et romantique avec, dans les Klavierstücke, des accents impressionnistes, notamment dans le morceau central qui évoque le thème de l’eau. Malgré l’investissement de Jouni Somero, et le fait que l’audition soit agréable, tout cela pèse d’un poids peu significatif. C’est le cas aussi pour les Deux contrastes de 1899, l’un mélancolique -c’est l’année de la disparition tragique du père de Palmgren dans un accident de bateau-, l’autre, Arlequin, d’humeur plus joyeuse. 

L’intérêt augmente avec les 3 Préludes de 1927-28. D’inspiration populaire, on retiendra essentiellement le deuxième, Prélude-Nocturne, dont la notice de Joel Valkila précise que cette vision où transparaissent des harmonies de jazz pourrait se rattacher au souvenir des années américaines du compositeur. Le plat de résistance de l’album consiste en 24 Préludes, ceux de l’opus 17 de 1907. Ici, l’influence de Chopin est manifeste et l’auditeur aura du plaisir à rechercher des similitudes entre certains d’entre eux et les splendeurs chopiniennes. Wilhelm Backhaus ou Dame Myra Hess sélectionnaient parfois l’un ou l’autre prélude pour l’insérer dans un programme de concert, aucun ne dépassant les trois minutes. On retiendra une ambiance où la danse (n° 4), la méditation (n° 6) ou l’impression fugace (n° 7) alternent avec des accents rêveurs (n° 11, nette influence debussyste), dramatiques dans la description de la mer (n° 12), passionnés (n° 16, où l’on songe à Prokofiev), ou évocateurs (n° 19, Chant de l’oiseau), que Benno Moiseiwitch enregistra. Le n° 23 est traversé par le souvenir d’une blessure douloureuse à la main survenue à Venise. Quant au Prélude conclusif, souvent programmé à titre individuel par les pianistes finlandais, sous-titré La Guerre, il a des accents patriotiques qui rappellent ceux que Chopin pouvait exprimer avec force.

Cet album rappelle que Sibelius n’est pas seul dans l’univers musical finlandais de la première moitié du XXe siècle. Palmgren sera une découverte pour de nombreux mélomanes, qui ne le classeront certes pas sur le premier rayon de leur discothèque malgré tout le soin et la ferveur apportés par Jouni Somero. Enregistré en février 2020, ce récital en appelle d’autres pour explorer plus avant ce répertoire. Il ne faut de toute façon pas résister à la tentation de sortir des sentiers battus. On signalera qu’un autre pianiste finlandais, Henri Sigfridsson, a laissé de ces 24 Préludes de Selim Palmgren une belle version pour le label Ondine en 2012. 

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

 

 

 

 

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