Le piano particulier de Hahn (et Kolesnikov)

par

Reynaldo Hahn (1874-1947) : Valses et poèmesChoix de pièces tirées du Rossignol éperdu et des Premières valses.  Pavel Kolesnikov (piano). 2022.Textes de présentation en anglais et français. 71’24. Hyperion CDA68383

En dépit d’une discographie maigrichonne et de la quasi absence d’exécutions publiques de sa musique de nos jours (à l’exception de rares exécutions de ses belles mélodies pour voix et piano et de sporadiques reprises de sa délicieuse opérette Ciboulette), Reynaldo Hahn n’est pas vraiment oublié de nos jours, même si le 75e anniversaire de son décès n’a guère été célébré. Le compositeur, né au Vénézuela et arrivé jeune à Paris où il fit de solides études musicales et une belle carrière, continue d’être vu comme un représentant typique de la Belle époque, un compositeur exquis, plein de charme et de délicatesse. Et les amateurs de littérature le connaissent sans doute aussi bien que les mélomanes, puisque cet homme subtil et cultivé fut un temps l’amant puis demeura l’indéfectible ami de Marcel Proust jusqu’à la mort de l’écrivain en 1922. 

Esprit curieux et découvreur audacieux, le pianiste Pavel Kolesnikov -comme il l’explique dans le livret, lequel prend la forme d’un dialogue mais ne comporte hélas aucune présentation systématique ou analyse des oeuvres pourtant méconnues proposées ici- mit à profit l’arrêt forcé de son activité de concertiste en raison du premier confinement dû au Covid et combiné à la lecture d’une biographie de Proust pour se plonger dans la musique de Hahn, dont il avait cependant déjà joué la Sonate pour violon et piano

Le méticuleux travail du pianiste russe l’a amené à retenir 25 pièces tirées de deux recueils. Ici 19 pièces tirées des 53 Poèmes pour piano qui composent le cycle Le Rossignol éperdu (1899-1910) encadrent six des dix Premières valses de 1898. 

Il faut aussi dire que Kolesnikov a sciemment opté pour une approche sonore assez particulière. Le pianiste a choisi pour ce faire un Yamaha CFX enregistré de très près (et pas du tout dans l’optique de reproduire ce qu’on pourrait entendre au concert). Ce parti-pris sonore couplant un piano légèrement cotonneux et une remarquable délicatesse de toucher fait qu’on a parfois la curieuse impression d’inhaler la musique plutôt que de l’écouter. C’est une invitation à la rêverie d’une grande finesse qui nous est offerte ici.

Il est honnêtement très difficile de définir avec grande précision cette musique méconnue, souvent étrangement évanescente et curieusement impalpable. 

Les élégantes Valses se souviennent des exemples de Chopin et sont d’une belle élégance. Ici on danse, on ne guinche pas. La brève et énergique Valse noble fait entendre cependant plus de fermeté.

La sélection d’extraits du Rossignol éperdu offre certainement plus de variété. Kolesnikov apporte aux beautés fragiles de ces pièces une interprétation toute d’élégance et de subtilité, quoique sans aucune superficialité. 

Il y a quelque chose de la délicatesse et du fin mystère d’un Watteau dans cette musique, même si l’interprète propose également des pièces plus animées et énergiques, comme ce Chérubin tragique, bavard et animé. Des morceaux comme Les noces du duc de Joyeuse ou La fête de Terpsichore regardent vers Couperin et Rameau et semblent annoncer Poulenc. Le debussyste Eros caché dans les bois permet à Kolesnikov de faire entendre un toucher de velours. Après l’orientalisme du Narghilé, le Pèlerinage inutile introduit une atmosphère de rêverie avec une belle subtilité harmonique qui rappelle Fauré. Le début de la Berceuse féroce risque fort de réveiller bébé et doit beaucoup à Chabrier. D’autres pièces sont plus faibles, comme ce Soleil d’automne un peu mou et curieusement pré-minimaliste (il serait signé Ludovico Einaudi qu’on ne s’en étonnerait pas), de même que la très consonante Hivernale où il ne passe pas grand-chose. La douceur du Jardin de Pétrarque s’étire doucement, étonnamment proche de ce qu’écrira bien plus tard Takemitsu, alors que Le Réveil de Flore est d’une belle délicatesse fauréenne (Kolesnikov pédale ici très généreusement). C’est un Ouranos très lent (et une des deux seules pièces de ce récital à dépasser cinq minutes de durée) qui conclut cet enregistrement. La musique apparaît comme étrangement figée et semble faire de Hahn un prédécesseur de Mompou.

Conclusion : si tout n’est pas ici de premier rayon, ce disque -qu’il vaut mieux déguster à petites doses- nous permet de découvrir un compositeur au talent peut-être limité mais réel, très bien servi par un interprète intelligent et sensible, dans une esthétique sonore inhabituelle mais à laquelle on se fait vite.

Son : 8 - Livret : 7 - Répertoire : 7 - Interprétation : 9

Patrice Lieberman

 



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