Le Quatuor Arod dans un Schubert à vos risques et périls

par

Franz Schubert (1797-1828) : Quatuor No 14 en ré mineur, « La jeune fille et la mort », D. 810 ; Quartettsatz en ut mineur, D. 703 ; Quatuor N° 4 en ut majeur, D. 46. Quatuor Arod. 2020. 71’08. Livret en français, en anglais et en allemand. 1 CD Erato 0190295172473.

Voilà une formation qui brûle les étapes ! Fondé en 2013, au bout de quatre ans ce quatuor à cordes sortait déjà son premier album, consacré à Félix Mendelssohn. Un enregistrement épique, sensuel, captivant.

Deux ans plus tard, donc l’année dernière, le deuxième avait pour figure centrale Mathilde Zemlinsky, avec des œuvres d’Anton Webern (son ami), Arnold Schönberg (son mari) et Alexandre von Zemlinsky (son frère) ; il avait fait l’admiration de Patrice Lieberman, au point de lui attribuer un Joker Absolu.

Et voilà que, cette année, pour leur troisième enregistrement, c’est Franz Schubert qu’ils mettent à l’honneur. Dans un entretien à Crescendo-Magazine, Samy Rachid-Sahrane, le violoncelliste du Quatuor Arod, explique en quoi ce choix allait de soi.

Leur album Schubert commence par le plus célèbre, et de loin, de tous ses quatuors : La jeune fille et la mort. Le moins que l’on puisse dire est que son début, sous les archets du Quatuor Arod, est saisissant ! Pendant tout l’Allegro, les contrastes sont exacerbés, au risque de fluctuations de tempo qui ne feront pas l’unanimité. Mais quelle maîtrise, quelle perfection technique, quelle variété dans les couleurs, quel équilibre entre les voix... On ne peut qu’admirer. Le thème de l’Andante con moto a une suavité, et les variations un aspect charnel, parfois à la limite de la pâmoison ou de la crise de nerfs, qui emballeront certainement le pouls de nombre d’auditeurs. Le Scherzo est déjà digne d’une chevauchée sauvage (le nom de la formation, Arod, veut dire « agile, rapide », et vient du cheval du Seigneur des Anneaux, monté à cru), mais dans le Presto c’est une véritable cavalcade, sur un terrain que l’on devine accidenté, plein d’obstacles brillamment franchis, et dont nos artistes sortent victorieux, en conquérants qui n’ont pas douté un instant de la réussite de leur mission. Au passage, ils auront terrassé tous leurs adversaires, quand ils ne les auront pas tout simplement séduits.

Changement d’ambiance avec le mystérieux Quartettsatz. Certes les fusées du premier violon sont comme autant de coups d’épée d’un combat épique, mais l’œuvre se prête moins à un traitement aussi démonstratif. Parler d’introspection serait, pour autant, quelque peu exagéré...

Pour conclure, le Quatuor Arod a choisi l’un des quatuors les moins joués de Schubert : le Quatrième, œuvre d’un jeune compositeur de seize ans. Oserons-nous dire que c’est ici que nous les trouvons les plus convaincants ? En cherchant à dire le plus possible, avec cette œuvre qui ne dit que des choses assez simples, certes avec déjà tout le talent de Schubert, mais sans encore son immense génie qui nous bouleverse, nos musiciens nous poussent à penser : « Comme c’est beau, Schubert, même adolescent... »

Car le risque, avec ces chefs-d’œuvre de la maturité et cette interprétation, où tout est exacerbé alors que Schubert dit déjà tellement, est de se dire : « Comme ils jouent bien ! C’est prodigieux ! ». Et peut-être certains, de penser : « Et Schubert, dans tout ça ? » Il est impossible de trancher. Chaque grand compositeur, et Schubert plus que tout autre, appartient à ses auditeurs et à ses interprètes. Et il n’est pas question de mettre en doute la sincérité des musiciens du Quatuor Arod, qui ont un immense talent et les moyens de jouer comme ils l’ont décidé ou comme ils le sentent. Quoi qu’il en soit, ils ont le mérite de renouveler notre écoute de Schubert, et en particulier de cette Jeune fille et la mort que nous connaissons par cœur. Après les avoir entendus, certains ne jureront plus que par eux et y resteront fidèles ; d’autres adhéreront un moment puis se lasseront ; d’autres encore retourneront aussitôt à leurs anciennes amours ; et d’autres enfin auront eu leur curiosité aiguisée et se lanceront dans de nouvelles recherches. Mais bien peu n’auront pas du tout avancé.

Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre Carrive

 

 

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