Le roi Georges Prêtre, charisme et fulgurances d'un chef singulier

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Georges Prêtre, The SWR Recordings. Oeuvres de Ludwig van Beethoven (1773-1827) ; Johannes Brahms (1833-1897) ; Anton Bruckner (1824-1896) ; Hector Berlioz (1803-1869) ; Maurice Ravel (1875-1937) ; George Bizet (1838)1875) ; Antonín Dvořák (1841-1904) ; Ottorino Respighi (1879-1936) ; Igor Stravinsky (1882-1971) ; Richard Strauss (1864-1949). Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR, direction Georges Prêtre. 1991-2004. Livret en allemand et anglais. 8 CD SWR19155CD

Le 14 août dernier, le chef d’orchestre Georges Prêtre aurait célébré ses 100 ans ! Le plus bel hommage lui vient de la radio allemande SWR et en particulier du Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR  dont le maestro français fut un proche et dont il fut le directeur artistique entre 1996 et 1998 avant d’être porté au rang de “Ehrendirigent”, soit chef d’orchestre honoraire en français. On notera au passage que ce bref mandat fut l’un des seuls de sa carrière comme chef symphonique. 

Avec Georges Prêtre, au fil des 8 disques de ce coffret, le commentateur ne s’ennuie pas, fasciné par cet art de la direction capable de galvaniser un orchestre et de l’emporter dans un parcours musical unique.

Car avec le chef, la direction d’orchestre c’est un art qui se vit avec les tripes et dans un engagement total. Comme un Charles Munch ou un Bernstein (dont il était un bon ami), Georges Prêtre a une conception au panache de son art avec une mobilité de la masse instrumentale et une adaptabilité des tempi, souvent fluctuants au fil des fils des transitions et des césures thématiques. De nos jours, la plupart des chefs tiennent le tempo qu’il soit rapide ou lent, équilibrant les masses et les pupitres comme de l’art et d’autre d’une ligne de démarcation, trop souvent avec la besogne des sémaphores ! Point de cette conception figée avec Georges Prêtre qui libère les énergies de musiciens heureux de suivre les fulgurances de cette direction unique. 

La Symphonie n°9 du “Nouveau monde” est emportée à l’énergie d’un Antonín Dvořák enivré de sa découverte de l’Amérique. Dès les premières notes, la mécanique orchestrale est lancée comme un rouleau compresseur qui culmine dans deux derniers mouvements jubilatoires d’une transe instrumentale dansante et communicatice. On admire également une Symphonie n°1 de Brahms coulée dans le magma avec une palette sonore puissante qui scotche l’auditeur à son fauteuil, le dernier mouvement est évidemment une leçon de direction par l'élan de la vision d’ensemble mais aussi par la capacité du chef à soigner les mélodies et les interventions solistes, chef de fosse de haut vol, le maestro sait accompagner en laissant une liberté aux instrumentistes. Immense réussite de ce coffret : la Symphonie n°4 de Bruckner, compositeur que George Prêtre dirigea avec régularité apportant un regard neuf sur cette musique. Sa "Romantique" n’est pas usuelle car le chef ne cherche pas une transcendante ou une architecture céleste, il est dans la narration et le sens des couleurs. Les tempi sont rapides et la masse orchestrale est mobile et souple. Sous la direction de Georges Prêtre, cette symphonie est chevauchée dans les sous-bois autrichiens et sous un temps à la fois changeant, tantôt gorgé de lumière, tantôt ombrageux et traversé d’éclairs. Cette interprétation est galvanisante et dégraisse comme jamais le mammouth brucknérien. Si vous trouvez Bruckner ennuyeux, cette interprétation est pour voir et vous fera changer d’avis ! 

Le chef étonne avec cette Symphonie n°3 de Beethoven, racée, bondissante ou élégante, qui laisse les musiciens porter le geste sans jamais forcer le trait ou dans cette Symphonie en Ut de Bizet, récitée comme un poème délicat. Le seul Totenfeier de Mahler est brassé comme une tempête, paroxysme de sentiments et de tensions. 

Dans Ravel (Suite n°2 de Daphnis et Chloé et La Valse), George Prêtre est à son affaire avec poésie et puissance, alors que ses Respighi (Pins de Rome et Fontaines de Rome) sont gorgés de lumières, jusqu’au fauvisme. La brève suite de 1919 de l'Oiseau de feu de Stravinsky s'affirme bijou de timbres qui nous fait regretter de ne pas avoir le ballet complet sous la direction de ce peintre des sons.

Parfois, Georges Prêtre n’y va pas de main morte dans un rubato endiablé que d’aucuns trouveront excessif et hors de propos : les 4 Danses hongroises de Brahms et la Grande suite du Chevalier à la rose en témoignent. Dans cette dernière, c’est le French lover qui débarque dans la Vienne du XVIIIe siècle qui sort le grand jeu du séducteur, c'est caricatural, mais le maestro soit garder le contrôle aux limites de la rupture. Don Juan et Till L’espiègle qui suivent sont heureusement plus rigoureux ! 

Au final de ce coffret, on ne peut qu’admirer la qualité du Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR capable d’adhérer et de suivre cette direction dans ses fulgurances. Il fallait des pupitres solides mais justement le chef savait qu’il pouvait compter sur ses fidèles musiciens. 

Un coffret pour les admirateurs du chef qui restent nombreux, souvent en dehors des frontières françaises, où un snobisme dénigrait cet immense et génial musicien qui reste à ce jour le seul chef français à avoir dirigé 2 fois le Concert du nouvel an des Wiener Philharmoniker. Si vous aimez le grand art de la direction, ce coffret est pour vous ! 

Note globale : 9

Pierre-Jean Tribot

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