Le souffle de l’imaginaire romantique !

par

Lord Byron : Manfred
Qui connaît encore Byron (1788 – 1824)? Qui le lit? Plus personne, je le crains. Les amateurs de fantastique se souviennent de la soirée à la Villa Diodati, en 1816, durant laquelle il esquissa Le Vampire, terminé par Polidori, à l’origine d’un mythe au succès incalculable, et les mélomanes de quelques compositions s’inspirant de ses oeuvres : Harold en Italie (Berlioz), Mazeppa (Liszt), Les deux Foscari et Le Corsaire (Verdi) et ce Manfred (Schumann, Tchaïkovski).

C’est peu pour un homme extraordinaire, dont la vie et l’oeuvre ont fortement influencé le romantisme dans tous ses aspects. Poète flamboyant, engagé politique (il mourra en Grèce luttant pour l’indépendance de ce pays), passionné de tout (de femmes… et d’hommes aussi), il incarnait une certaine démesure, tant morale que philosophique, qui a longtemps fasciné par son caractère sulfureux. La parution d’une traduction de Manfred est l’occasion idéale de parfaire nos connaissances. Avec Childe Harold et Don Juan, cette pièce de théâtre est sans doute son oeuvre la plus connue. Pièce de théâtre ? Sans doute, si l’on consulte la liste des “dramatis personae” et constate la division en trois actes. Mais je défie de mettre en scène ce long monologue du personnage central, entrecoupé par les rares interventions de rôles tout à fait secondaires. Il n’y a pas vraiment d’intrigue non plus :
I : Manfred, de haute noblesse, veut tout, rencontre un esprit qui le condamne à vivre son propre enfer, s’isole dans la montagne et est sauvé du suicide par un simple chasseur de chamois.
II : Manfred chasse le chasseur, voit l’Esprit des Alpes à qui il se raconte entièrement et veut évoquer les morts. Il rencontre ensuite les Destinées puis Némésis qui fait apparaître le fantôme d’Astarté, son amour, à qui il demande de lui pardonner.
III : L’abbé de Saint Maurice essaye de le sauver. Une dernière fois, des esprits tentent Manfred, mais il refuse obstinément et meurt, fier et désespéré.
Ce résumé sec ne donne évidemment aucune idée de la richesse littéraire de ce très court ouvrage (à peine cent pages). Manfred, écrit en 1817, lors du séjour de Byron en Suisse, se souvient des paysages montagneux de la Jungfrau. L’essentiel est formé par de longues tirades poétiques, exaltant la Nature dans des termes vibrants, et décrivant les douloureux secrets sentimentaux qui torturent Manfred, et qui s’inspirent de la passion dévorante de l’écrivain pour sa demi-soeur, ici symbolisée par la figure d’Astarté. L’abbé décrit bien le héros : “Tout le destinait à être une noble créature. Son énergie extraordinaire aurait servi d’écrin à de glorieux éléments, eussent-ils été assemblés avec sagesse; en l’état, il n’est qu’un effroyable chaos – de lumière et d’ombre, d’esprit et de poussière, de passions et de pensées élevées, qui se heurtent sans logique et sans fin au souffle suspendu et destructeur” (III,1). C’est le portrait de cette âme sans cesse souffrante et se torturant elle-même que le poète anglais décrit dans ce long poème et on comprend aisément son succès parmi cette Europe de la Restauration, engoncée dans un conventionnalisme écoeurant que Byron fustige ici avec l’ardeur la plus féroce.
Bruno Peeters
Lord Byron, Manfred, Editions Allia, Paris, 2013, trad.: Gaëlle Merle, 105p, 6,20 euros

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