L’enthousiasme des Tchalik pour la musique de chambre de Reynaldo Hahn

par

Reynaldo Hahn (1874-1947) : Quatuors à cordes n° 1 en la mineur et n° 2 en fa majeur ; Romance en la majeur pour violon et piano ; Variations chantantes sur un air ancien pour violoncelle et piano ; Deux improvisations sur des airs irlandais pour violoncelle et piano ; Quintette pour piano et cordes en fa dièse mineur. Quatuor Tchalik ; Dania Tchalik, piano. 2019. Livret en français et en anglais. 82.07. Alkonost ALK006.

Le temps où Reynaldo Hahn était considéré avant tout comme un charmant musicien de salon ou comme l’auteur de la seule Ciboulette n’est plus d’actualité. Et c’est justice ! Son nom se retrouve de plus en plus dans les publications discographiques, ce qui nous a valu en peu de mois une formidable intégrale des mélodies, puis la résurrection d’un délicieux opéra de jeunesse, L’île du rêve. Ces gravures, parues sous l’étiquette du Palazzetto Bru Zane, sont complétées par ce CD qui s’inscrit dans le cadre d’une grande rétrospective musicale et iconographique consacrée au compositeur français d’origine vénézuélienne et initiée par le dynamique Centre de musique romantique française de Venise. Dans son Journal d’un musicien (Paris, Plon, 1933), Reynaldo Hahn a écrit de longues pensées sur la Sérénissime ; on y trouve notamment cette réflexion : J’ai parcouru en tous sens Venise et Mozart ; j’ai rêvé longuement sur tous deux, j’ai saisi bien des choses fuyantes de leur âme, de leur aspect. Derrière le voile de leur irrésistible physionomie, je vois briller une beauté juvénile et immortelle. Venise, Reynaldo Hahn qui collabora avec Sacha Guitry pour la comédie musicale Mozart, le Palazzetto Bru Zane… Tout cela ne coule-t-il pas de source pour les membres de la famille Tchalik, dont la pochette du CD nous montre un aspect humoristique à la juvénilité espiègle ? A l’occasion du concert inaugural de la rétrospective Hahn dans la cité des Doges en septembre 2019, ils se sont produits dans un programme centré sur ce créateur. 

Les Tchalik ? C’est une véritable affaire de famille : l’aîné, Dania, est au piano. Gabriel et Louise sont violonistes, Sarah est altiste et Marc joue du violoncelle. Le quatuor formé par les quatre derniers nommés a donné un premier concert en 2013, avant de rejoindre Madrid en 2016 dans la classe de l’ancien premier violon du Quatuor Berg, Günter Pichler. Deux ans plus tard, il participe au Concours International Mozart à Salzbourg et y décroche le premier prix et le prix spécial réservé à une interprétation d’un quatuor de Mozart. Pour le label Alkonost, on a déjà pu apprécier le duo Gabriel-Dania dans des pages de Respighi, Janacek, Lyatoshynsky et Ravel, ou dans « Le violon de Proust » (Franck, Saint-Saëns, Hahn), et Gabriel seul dans des Caprices de Locatelli ou des œuvres de Tishchenko. Ici, les cinq membres de la famille sont réunis pour un programme chambriste, centré exclusivement sur Reynaldo Hahn et enregistré à la Seine Musicale en décembre 2019.

Six partitions sont à l’affiche pour un panorama qui débute la première année du XXe siècle et nous mène jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Gabriel et Dania Tchalik dessinent une tendre Romance en la majeur pour violon et piano de 1901, que prolongent des Variations chantantes sur un air ancien pour violoncelle et piano de 1905, d’après un extrait du Xerse de Cavalli, Marc Tchalik faisant ici entendre ses qualités d’émotion. On retrouve ce duo dans les Deux improvisations sur des airs irlandais, à partir d’un recueil de Charles Villiers Stanford. Reconnaissons que ces pièces de courte durée accréditent l’étiquette salonnarde que l’on a souvent accolée au nom de Reynaldo Hahn et qui lui a souvent porté préjudice. C’est le type de musique que l’on écoute avec plaisir, certes, mais que l’on oublie assez vite, même si l’élégance et la délicatesse sont de la partie.

Le reste du programme revêt une toute autre dimension et relève singulièrement le débat. Le Quintette, dont les deux premiers mouvements ont été écrits en 1917 et 1918, au cours de la Première Guerre mondiale à laquelle Hahn a participé, et le dernier en 1922, a été créé Salle Gaveau à Paris en novembre de la même année, avec Magda Tagliaferro au piano et, parmi les membres du quatuor, Jules Boucherit au violon, précision apportée par l’intéressante notice de Philippe Blay, où il est fait allusion à des archives familiales. Ecrit dans une veine postromantique, ce quintette propose un Molto agitato e con fuoco qui porte bien son intention, reflet d’une âme au caractère fébrile sans doute marquée par les événements tragiques du temps, suivi d’un Andante d’une expressivité qui fait la part belle à une affliction mêlée d’éclairs de désir d’un monde meilleur, que le premier violon porte vers la lumière. L’Allegretto grazioso, dont l’écriture plus tardive montre que le compositeur a fait la part des choses et a diversifié son approche, souligne un caractère que l’on qualifiera de plus ardent et de plus déterminé. C’est une très belle partition, que les cinq Tchalik s’approprient de façon souveraine, ranimant le souvenir de l’ancienne version d’Alexandre Tharaud avec le Quatuor Parisii, gravée pour Valois en 1998 et couplée avec les deux quatuors à cordes.

La Seconde Guerre mondiale départage les deux quatuors dans le temps. Ecrit à la fin de 1939, le Quatuor n° 1 se présente comme une œuvre essentiellement esthétique, qui ne semble pas marquée par la gravité de la période funeste qui s’annonce, comme si Reynaldo Hahn s’en détachait. C’est le Quatuor Calvet qui assure la création, le 1er janvier 1940, de cette œuvre néoclassique dont l’Andante molto moderato initial aux sonorités chaudes précède un Récit et chanson de Provence qui renoue avec le style dansant ancien. On retrouve l’écho de son recueil Le Rossignol éperdu dans l’Andantino qui fait penser à une sarabande, avant un Allegro assai empreint de légèreté et de joie de vivre. Le Quatuor n° 2 est daté de 1943. Reynaldo Hahn le compose pendant la période où il s’est réfugié dans le Sud de la France. Il montre une vision plus large et plus énergique dès l’entame, avec un Scherzo très mouvementé, comme indiqué par le compositeur, et une incitation à une tendre méditation dans un magnifique troisième mouvement d’une inspiration lyrique très prenante. Que désire le musicien en cette période troublée et incertaine ? On trouve une réponse possible dans le Très vite qui conclut le quatuor, sorte de marche en avant que l’on pourrait interpréter comme un écho au Quintette des années 1917-1922, avec le désir ardent du retour au bonheur joyeux.

Dans ce programme à la fois racé et intimiste, les Tchalik font chanter leurs instruments avec un sens de l’écoute mutuelle, à la fois complice et fraternelle, au sens premier du terme. On relève leur capacité d’exaltation et de description des sentiments poétiques, mais aussi un charme, une légèreté et surtout le respect qu’ils accordent à des pages trop négligées. Ils apportent à cet univers hahnien la part de profondeur qu’il mérite et se placent aisément en tête de la discographie récente. 

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix

  

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.