Chen Reiss rend hommage aux femmes  grâce à un récital dédié à Beethoven

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Immortal Beloved. Récital d’airs de Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Extraits de la Cantate pour l’Accession de l’Empereur Léopold II, de Fidelio, d’Egmont ; Ah ! perfido op. 65 ; airs de jeunesse. Chen Reiss, soprano ; Oliver Wass, harpe ; Academy of Ancient Music, direction Richard Egarr. 2020. Livret en anglais et en allemand. Textes des airs en langue originale et en traduction anglaise. 58.52. Onyx 4218.

Née en 1978, la soprano israélienne s’est expatriée pour étudier aux Etats-Unis avant de rejoindre la troupe de l’Opéra d’Etat de Bavière à Munich. Elle s’est ensuite produite à l’Opéra de Vienne, dans Mozart (Pamina) ou Richard Strauss (Sophie), mais aussi dans Janacek, Donizetti ou Humperdinck. En 2018, elle a fait ses débuts au Royal Opera House de Covent Garden. Cette superbe voix au timbre souple a enregistré des mélodies italiennes (pour Philartis en 2007), un florilège Mozart, Schubert, Spohr, Lachner (pour Telos en 2009) et un programme « Liaisons », déjà pour le label Onyx en 2011, où voisinaient Mozart, Haydn ou Salieri. En cette année Beethoven, elle signe un récital d’airs intitulé « Immortal Beloved », hommages dédiés au courage et à l’amour des femmes, pour la plupart peu fréquentés. 

Le programme débute par un extrait de la Cantate pour l’avènement de Léopold II à la dignité impériale WoO88, composée à Bonn dans les derniers mois de 1790. L’air dynamique « Fliesse, Wonnezähre, fliesse ! » (« Coulez, larmes de bonheur, coulez ») permet à la cantatrice de marquer tout de suite son récital par des vocalises bien rythmées, avec le soutien de traits du violoncelle et de la flûte. Chen Reiss y est d’emblée brillante, comme elle va l’être dans les deux lieder chantés par le personnage de Klärchen dans Egmont op. 84, « Die Trommel gerühret ! » aux accents militaires bien marqués, qui donne une image courageuse de la femme éprise, et « Freudvoll und leidvoll », sorte d’hymne à l’amour qui dépasse la mort. Brillante, Chen Reiss l’est à coup sûr, mais aussi expressive au plus haut degré. La projection de la voix est assurée sans failles, les couleurs ont des nuances soignées, le timbre est clair. La cantatrice convainc tout autant dans Ah ! perfido op. 65, d’après un texte de Métastase. Cet air de concert composé en 1796, lors d’un séjour de Beethoven à Prague, a été écrit pour Josepha Dussek qui avait été proche de Mozart et dont on dit qu’elle avait une belle voix grave. Cette partition de caractère italien est composée du récitatif « Ah, perfido, spergiuro… » suivi de l’air « Per pièta, non dirmi addio » et raconte la douleur d’une femme abandonnée qui exprime tour à tour sa colère et son amour déçu, puis sa tristesse, de façon déchirante. Chen Reiss s’investit totalement dans ce rôle où les sentiments opposés sont exprimés de façon intensément lyrique. L’émotion, forte, est présente de bout en bout, la cantatrice maîtrise avec aisance la douleur comme la déception ou la pitié qu’elle sait pouvoir inspirer. C’est touchant, au plus haut point.

On trouve encore sur ce CD un extrait de l’opéra Fidelio, « O wär’ ich schon mit dir vereint », l’air de Marzelline qui s’impatiente en attendant l’arrivée de Fidelio. Chen Reiss fait ici étalage de sa grande sensibilité et d’une fraîcheur idéale pour évoquer le sentiment exprimé : « Si je pouvais déjà être unie à toi ». Deux airs de jeunesse à l’ambiance pastorale « No, non turbarti » WoO92a et « Primo amore » WoO92, ainsi que le singspiel « Soll ein Schuh nicht drücken » WoO91/2, sont chantés avec les subtiles variations élégiaques qui conviennent. On gardera pour la bonne bouche le moment de grâce constitué par l’échange de la voix et de la harpe dans la romance « Es blüht eine Blume im Garten mein » tirée de la musique de scène pour Leonore Prohaska, qui date du printemps 1815. Le sujet s’inspire de l’histoire d’une jeune fille qui mourut face aux soldats de Napoléon, déguisée en homme. Beethoven a mis en musique trois textes du projet du dramaturge Johann Friedrich Léopold Duncker qui ne connut pas de représentation. Cette pièce d’une infinie délicatesse évoque, à travers une transposition métaphorique, la fidélité dans l’amour. Le langage des fleurs donne à cet échange entre la voix et la harpe tendre d’Oliver Wass une dimension intime et rêveuse d’une grande pureté. 

Ce programme original, superbement construit et chanté avec beaucoup de facilités vocales (les aigus sont généreux) et d’investissement émotionnel, est un bel hommage à la présence des femmes chez Beethoven. Il exalte aussi bien l’abnégation ou la fierté que la passion amoureuse ou la capacité de sacrifice. Dans un texte qu’elle signe dans la notice, Chen Reiss explique que, pour elle, Beethoven exalte la ferveur et l’idéalisme féminin. Elle en conclut que celles qui se retrouvent au fil de son œuvre représentent en quelque sorte, cantatrices y compris, cette « immortelle bien-aimée » qu’il a toujours cherchée. Son récital, dont on sort ravi, en est une illustration particulièrement heureuse et comptera parmi les belles réalisations de la commémoration des 250 ans. L’enregistrement a été effectué dans l’église Saint Augustin de Kilburn, au nord de Londres, en juillet 2019. L’Academy of Ancient Music, sous la baguette attentive de Richard Eggar, est un écrin idéal pour cette voix magnifique. Un seul regret, mais il est élogieux : la durée du CD se situe juste en-dessous des soixante minutes. Comme on aurait aimé écouter cette voix somptueuse plus longtemps !

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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