Les Concertos du Concours : le 1er Concerto de Liszt - Guide d'écoute
La semaine des finales du Concours Reine Elisabeth 2016 débutera avec, bien sûr, la création du concerto imposé dont ne nous connaîtrons l'identité qu'une paire d'heures avant la prestation de la première finaliste, la jeune Coréenne Yoongi Kim. Son concerto au choix ? Le 1er Concerto de Liszt qu'elle était d'ailleurs la seule à proposer sur les 76 candidats. Un concerto court, moins de 20 minutes, essentiellement axé sur la virtuosité.
Le 1er Concerto pour piano en Mi bémol Majeur de Franz Liszt
Il s'est passé 26 ans entre le jour où Franz Liszt jeta sur papier le thème principal de son 1er Concerto et le jour il annota les derniers changements avant publication de la partition. Il avait alors 19 ans à peine et se trouvait à Rome. Le Concerto fut achevé en 1849 alors que le compositeur venait de s'installer à Weimar, une période de production intense au cours de laquelle il composa, entre autres, la quasi entièreté de ses Poèmes Symphoniques. Quatre années plus tard, il y fit des ajustements et le créa en 1855 au château de Weimar, lui-même au piano et Hector Berlioz à la baguette. L'oeuvre en déconcerta plus d'un et Liszt le mit à nouveau en chantier pour opérer les dernières modifications avant édition. C'est grâce à une élève de Liszt, Sophie Henter, que le concerto connut un triomphe, qu'il a été enregistré plus de cent-cinquante fois et que ses premières notes sont connues de tous.
Pourquoi fut-il déconcertant ? Comme nous allons le voir, il ne répond pas à la conception traditionnelle du "Concerto" avec ses multiples motifs, son caractère rhapsodique et le matériaux circulant d'un mouvement à l'autre. Béla Bartok considérait que ce 1er Concerto constituait la "première composition parfaite de forme sonate cyclique avec des thèmes communs traités sur le principe de la variation".
Mais ce qui suscita surtout la colère et les railleries de ses opposants était, pour la première fois, l'usage du triangle dans les deux derniers mouvement (le Concerto en compte quatre mais le 2e et le 3e sont joués sans interruption). L'instrument est même utilisé en soliste dans le Scherzo ! Avec humour, il parlait de la "Canaille" pour désigner le triangle, la cymbale, les tambours et les caisses. Pour le jeu de triangle, il donna ses consignes : "le frapper très légèrement avec un diapason", car les musiciens peu habilités à son usage en jouaientt à son avis trop lourdement. Quant aux critiques, il en parlait comme des "Goliath de la docte critique".
Par cette forme cyclique (des mêmes motifs se trouvant dans les divers mouvements) et l'usage d'un thème principal court mais détenteur d'une énergie telle qu'il abreuve l'entièreté de l'oeuvre, on peut rapprocher ce Concerto en Mi bémol Majeur de la Sonate en si mineur (1852-53), beaucoup plus intense toutefois.
Effectif orchestral : 3 flûtes (dont la petite), 2 cors, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones, timbales, cymbales, triangle.
Durée : env. 20 '
Interprétation choisie pour les extraits : Krystian Zimerman (piano), Boston Symphony Orchestra sous la direction de Seiji Ozawa DG 423 571-2 - 1988
I. ALLEGRO MAESTOSO - TEMPO GIUSTO (YouTube)
En Mi bémol Majeur. Forme Sonate assez libre.
Exposition
Le premier mouvement commence ff marcato deciso aux cordes qui énoncent les 7 notes qui vont innerver l'entièreté de la Sonate auxquelles répondent les bois et les cuivres
Le piano entre à la 5e mesure par une suite d'octaves en ff suivie d'une cadence se déployant en octaves sur toute l'étendue du clavier, une cadence qui sera notre
Motif 1
agrémenté de multiples didascalies : sempre ff e marcatissimo, un poco riten. e molto rinforz, a capriccio, strepitoso, rinforz.....
Mes. 15, env. 0'56'' : l'orchestre reprend la thème principal qui est suivi d'une 2e cadence
Motif 2
slargando il tempo a piacere.
Reprise du Thème principal par l'orchestre suivi d'une 3e cadence
Motif 3
Après avoir fait bande à part, le piano, sur invitation de la clarinette, va rejoindre l'orchestre
Encore une toute petite cadence et le piano entre avec un thème d'un profond lyrisme qui va dialoguer avec la clarinette et puis deux violons, prétexte à de superbes modulations qui nous mènent d'ut mineur à La Majeur et ensuite dans le lointain Ré bémol Majeur
Thème 2 (Mes. 34, env. 2'33'')
Le piano va le reprendre une dernière fois, appassionato et nous amène, déjà, au Développement
Développement
Mes. 48 env. 3'26''. Le piano va orner un nouveau motif énoncé par les violons
tandis qu'une grande part de l'orchestre reprend les premières notes du Thème principal, amenant -déjà!- la Réexposition
Réexposition (Mes. 55, env. 3'38'')
Sur le Thème principal (Thème 1) et divers Motifs.
Thème 1 ff au Tutti.
suivi du Motif 1 (Mes. 72, env. 4'06''), grandioso, suivi du Thème principal (Thème 1), suivi du Motif 2 (Mes. 80, env4'29'').
Et le mouvement se termine sur le Thème principal (Thème 1) suivi d'une cadence du piano suivie de la Coda dans un rythme du Thème 1 adouci et le piano jouant quasi arpa pour terminer sur une suite chromatique de sixtes dans la nuance ppp.
II. QUASI ADAGIO (YouTube)
En Si Majeur, mesure 12/8 (4/4)
Structure tripartite (ABA') avec une courte partie B.
NB. Dans la mesure où les Thèmes et Motifs reviennent d'un mouvement à l'autre, je les numérote non mouvement par mouvement mais de façon continue.
A. Con sordino, les violoncelles et les contrebasses énoncent le Thème 3, un motif mélodique ascendant, cantabile et d'une grande douceur
Les cordes basses sont rejointes par les premiers violons et laissent la voix au soliste qui va développer ce thème con espressione, tel un Nocturne qui va lui donner toute son ampleur avec une main gauche en douces arpèges. Le Thème se poursuit de plus en plus con appassionata pour déboucher sur un climax ff suivi d'une large descente diminuendo.
Mes. 33 env. 2'04''. Le Thème principal (Thème 3) revient, partagé entre les violons et les violoncelles suivis de tremolos des cordes sur lesquels le piano entame un Récitatif (on retrouve ce même procédé dans la Sonate) dans un style très chopinien.
Notons les didascalies du compositeur : "Les trémolos des violons et des altos seront aussi serrés et aussi vibrants que possible"... la tension monte...
Ce Récitatif est repris et la partie a se termine à la mesure 47 env. 2'45'' sur la 2e partie du Thème 3 suivie d'une petite cadence énergique du piano.
B. Mes. 51 env. 3'12''. Cinq mesures de transition sur la dominante de Ut Majeur.
A'. Mes. 57 env. 3'39''. Un nouveau Thème (Thème 4). Un beau solo de flûtes en alternance avec les clarinettes sur un très long trille du piano qui va nous mener à la fin du mouvement où se fait entendre une dernière fois le Thème 3.
Thème 4
III. ALLEGRO VIVACE (enchaîné au Quasi adagio) (YouTube)
Mes. 1 à 4'38''. Mi bémol Majeur, 3/4
C'est ici que la Triangle entre dans l'orchestre. En didascalie, Liszt écrit : "Prendre garde à ce que le triangle ne soit pas lourd, mais qu'il rythme avec délicatesse et, bien que sonore, soit précis". Hanslick, détracteur de Liszt, accueillit cet effet par cette phrase un peu idiote lorsqu'elle vient d'une mauvaise intention : "Mais, c'est là un concerto pour triangle !".
Ce 3e mouvement est conçu, dans l'esprit comme dans la forme, comme un Scherzo (ABA') agrémenté des arabesques du piano. Il est truffé d'effets rythmiques et reprend différents thèmes et motifs des mouvement précédents.
A. C'est cet instrument qui ouvre la partie avec les cordes senza sordino et pizzicato. Ensemble, ils donnent la première mesure du Thème 5 que le piano va poursuivre capriccioso scherzando
La deuxième partie de ce Thème, que nous allons considérer comme un nouveau motif, va servir de trame à tout le mouvement
Motif 7
Mes. 23 env. 5'01''. Un long duo ludique va s'établir entre le piano, les bois et le triangle.
Mes. 37 env. 5'18''. La tête du Thème 5 aux altos et aux violoncelles sur des arabesques du piano.
Mes. 53, nouveau duo "scherzando" entre la flûte et le piano sur le Motif 7.
Mes. 64 env. 5'51''. Thème 5 aux violons que va rejoindre le piano, toujours "scherzando".
Mes. 90 env. 6'20''. Jeu sur le Motif 7 entre le piano et les cordes suivi d'une brève cadence du piano qui nous conduit à la partie centrale du Scherzo
B. Mes. 106 env. 6'44''. Sur des tremolos agités de la main gauche, le Thème 1 revient au piano dans le registre inférieur du clavier, "un poco marcato" suivi à 7'09'' (Mes. 107) du Motif 6, les octaves chromatiques descendantes.
Mes. 116 env. 7'22''. p, sotto voce, les cordes effectuent en tremolo une progression (montée) sur la tête du Thème 1.
A'. Mes. 123 env. 7'37''. Retour du Thème 1 dans sa configuration originelle, tel qu'il apparaissait dans le premier mouvement, suivi de ses octaves montantes.
Mes. 136 env. 8'02''. Retour du Thème 4, celui de la flûte joué ici par le hautbois et pris en relais par les clarinettes sur des trilles dans l'aigu du piano, crescendo et stringendo.
Et le mouvement se termine sur la tête du Thème 1, ff, en progression descendante suivie des octaves montantes et de sept accords dans l'aigu du piano.
IV. ALLEGRO MARZIALE ANIMATO (YouTube)
A part deux nouveaux thèmes, variantes de thèmes précédents, le 4e mouvement reprend une grande partie des thèmes entendus précédemment traités dans un esprit nouveau, tant du point de vue rythmique que dans l'esprit, comme l'indique le mouvement.
Mi bémol Majeur. Mesure 4/4.
Après une descente d'une octave au piano, les hautbois, clarinettes, bassons et cors entonnent le Thème 6, issu du Thème 3 et trillé par toutes les flûtes.
A la mesure 17 env. 0'27'', vient le Thème 7 issu du Thème 2 dont l'esprit lyrique se fait ici martial, entonné par les trombones.
Thème 7
Le piano entre dans la course et prolonge le Thème proposé.
Mes. 30 env. 0'59''. Retour du Thème 4 non legato, distintamente au piano auquel vont bientôt se joindre les hautbois (mes. 38 env. 1'13''.
Mes. 46 env. 1'25''. Quelques mesures de transition au piano et puis, (mes. 54 env. 1'38'') retour du Thème 6
Mes. 73 env. 2'05''. Retour du Thème 5 suivi d'une petite cadence du piano.
A la mes. 87 env. 2'26'', ce Thème 5 est proposé dans une tonalité Majeur (Mi bémol), brillante puis con bravura.
Mes. 101 env. 2'45''. Thème 8 issu du Thème 2 enchâssé dans une suite de doubles croches
... et tout s'emballe : sempre accelerando sin al fine... più presto
A la mesure 129 env. 3'17'' revient aux bassons le Thème 1 que l'on peine à entendre derrière le piano; long trilles et, à la mes. 142 env. 3'31'', Presto revient le Motif 6, la longue descente chromatique augmentée du Tutti orchestral; ensemble, ils vont terminer fff, tout en bravoure... mais c'est l'orchestre qui aura le dernier mot avec ses deux accords finaux.