Les cordes mystérieuses et envoûtantes du Polonais Krzysztof Meyer
Krzysztof Meyer (°1943) : Canti Amadei – Concerto da camera pour violoncelle et orchestre op. 63 ; Symphonie n° 5 pour orchestre à cordes, op. 44. Bartosz Koziak, violoncelle ; Orchestre de chambre de la Philharmonie polonaise de Sopot, direction Rafal Janiak. 2021. Notice en polonais et en anglais. 57.54. Dux 1803.
Né à Cracovie, Krzysztof Meyer est l’un des compositeurs vivants les plus importants de la Pologne. Après des études avec Penderecki, il s’est perfectionné à Paris avec Nadia Boulanger qui ne tarissait pas d’éloges à son sujet. Ce musicien, qui est aussi écrivain (il est l’auteur d’une biographie de Chostakovitch parue chez Fayard en 1994), nous a déjà conquis avec ses huitième et neuvième symphonies (nos articles des 10 novembre 2019 et 25 avril 2022) parues elles aussi chez Dux, qui a inscrit à son catalogue plusieurs albums consacrés à Meyer. La nouvelle gravure pour ce même label propose deux partitions qui datent de la fin de la décennie 1970 (la Symphonie n° 5) et de la première moitié de la suivante (Canti Amadei).
C’est par cette dernière œuvre, un concerto pour violoncelle, que s’ouvre le programme. Canti Amadei (1983/84) est le fruit d’une collaboration entre Krzysztof Meyer et le violoncelliste Ivan Monighetti (°1948), dernier élève à Moscou de Mstislav Rostropovitch. Cet originaire de Riga s’est installé en Suisse et est aussi chef d’orchestre et pédagogue. Il a notamment créé des œuvres de Denisov, Goubaïdoulina, Schnittke ou Silvestrov. La notice reprend des extraits d’un écrit de Monighetti, daté de 1994, qui explicite la genèse de la composition. Lors d’une rencontre, au début des années 1980, le soliste suggéra à Meyer d’écrire des variations pour violoncelle et orchestre sur des thèmes de Mozart, qu’il vénérait. Peu de temps après, il reçut une partition d’un peu plus de vingt-cinq minutes, destinée à une formation à la manière des concertos de Haydn, pour cordes, deux hautbois et deux cors, avec un violoncelle comme meneur de jeu. Avant la création, qui eut lieu à Cracovie le 19 décembre 1984, avec le dédicataire et la Capella Cracoviensis dirigée par Stanislaw Galonski, Monighetti demanda à Meyer d’approfondir ce qu’il appelle « la ligne de Mozart », ce que fit le compositeur en apportant des variantes dans la cadence finale. Les interprètes de la création ont gravé Canti Amadei en août 1986 pour le label ProViva avec, en complément, la Symphonie n° 6 de Meyer confiée à Antoni Wit.
La présente gravure propose une version récente, captée en août 2021 à Sopot, cité portuaire et station balnéaire proche de Gdansk. Canti Amadei est une partition virtuose en cinq mouvements, dont le lent troisième est encadré par deux scherzos. Le climat global relève de la dimension opératique avec ce que Monighetti considère comme « des arrêts sur images », soulignant un éventail de caractères mozartiens, comme ceux que contient Don Giovanni, de Leporello au Commandeur, le tout étant à la fois passionné et mystérieux, dans un discours fragmenté. Mozart lui-même apparaît et disparaît, un peu comme une ombre, le violoncelle entamant une cadence très diversifiée, comme sous la forme d’un dialogue au-delà du temps. Meyer avait écrit en 1977 une Symphonie dans style de Mozart, à considérer comme une parodie. Ce n’est pas le cas ici, les citations ne subissant pas de modifications. L’auteur de la notice, Thomas Weselmann, invite l’auditeur à déceler dans ce concerto les allusions à Wolfgang Amadeus qu’il dévoile : symphonies, musique de chambre, sonates pour piano ou violon, concertos ou même le Requiem. On peut sans cela apprécier une œuvre qui demande au soliste un investissement de chaque instant. On se prend à penser souvent à Chostakovitch, que Meyer a bien connu, pour l’esprit richement méditatif qui parcourt ce concerto plein d’imagination. Le violoncelliste polonais Bartosz Koziak (°1980) est un digne successeur d’Ivan Monighetti. Il tire de son Guadagnini des sonorités envoûtantes qui donnent à Canti Amadei la dimension parfois conflictuelle qu’il contient. L’orchestre de chambre de Sopot et son chef-compositeur Rafal Janiak, qui a été l’assistant d’Antoni Wit, puis de Jacek Kasprzyk à Varsovie, l’accompagnent avec clarté.
La Symphonie n° 5 (1978/79) en cinq mouvements, créée en 1979 à Byalistok puis à Varsovie par Jerzy Maksymiuk, est destinée à un orchestre à cordes. C’est la dernière de la série des neuf symphonies de Meyer à ne pas être en lien avec un programme déterminé, ou inspirée par des textes. C’est une œuvre énigmatique, souvent mystérieuse, qui utilise des effets discordants pour manipuler les cordes. Une œuvre dérangeante aussi, qui semble véhiculer bien des sensations tragiques. Deux brefs mouvements, l’un aux accents émotionnels et aux nuances variées, mêlées de sensualité, l’autre empreint de sérénité, encadrent un Maestoso aux couleurs crues, qui contient un envoûtant solo de contrebasse en pizzicati. Un nouveau mouvement concis, Con pazzia, traduit l’idée de la folie avec des glissandos et d’autres pizzicati. Le Lento final, qui occupe près de la moitié de la durée totale de la symphonie, baigne dans une ambiance grave. Il paraît surgir du néant, s’ouvre à un univers erratique, qui se prolonge jusqu’à l’intervention d’un violon solo qui va entrer en dialogue avec l’ensemble, dans un contexte lyrique et dramatique à la fois. Il y a création d’une fascination au sein de ce paysage triste et désolé qui finit par se développer dans un climax avant de retourner peu à peu vers le néant initial. Meyer se révèle très inspiré pour ces climats nourris à la fois de modernisme et de postromantisme. L’Orchestre de Chambre de Sopot, toujours mené par Rafal Janiak, dévoile les aspérités tout autant que les finesses et les riches résonances de cette symphonie qui confirme l’importance du compositeur dans le paysage de la musique polonaise de notre temps.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 9
Jean Lacroix