Les soleils noirs de Nielsen
Carl Nielsen (1865-1931) : Symphonies n°4 "Inextinguible", Op.29 et n°5, Op.30. Danish National Orchestra, direction : Fabio Luisi. DGG
Cette parution exclusivement digitale est le premier volet d’un projet que l’Orchestre National du Danemark et son directeur musical Fabio Luisi consacrent aux symphonies et aux concertos de Carl Nielsen, interprétés par les chefs du pupitres de la phalange danoise.
Le point culminant de ce projet sera un cycle de concerts à Copenhague, en avril 2023, qui sera accompagné d’une parution d’un coffret physique de cette intégrale. Comme c’est désormais le cas, le numérique est le vecteur de parutions des volumes séparés avant une mise en coffret à l’occasion d’un évènement précis : cycle de concerts ou tournées.
Cette première étape numérique est consacrée aux deux symphonies les plus célèbres et les plus démonstratives : les Symphonies n°4 et n°5. Fabio Luisi impose une vision très noire et étouffante de ces deux partitions. Les houles orchestrales déchaînées, telles des tempêtes instrumentales sont traversées de moments de tensions écrasants qui portent les mouvements lents et même les tuttis à un paroxysme dramatique inégalé. L’interprétation est très horizontale, travaillant les blocs instrumentaux comme des masses qui se choquent et s'entrechoquent avec violence. L’impression est étouffante jusqu’à des apothéoses foncièrement apocalyptiques d’un monde qui s’écroule. Nielsen n’est plus vu comme un diamant ciselé dont l’instrumentation brille, mais comme une continuation d’une vision tragique d'un Mahler ou du sens de l'épopée d'un Chostakovitch.
Certes l’Orchestre National du Danemark connaît les moindres recoins de cette musique et les interprétations sous la direction de Fabio Luisi ont été rodées à l’occasion de concerts et de tournées à travers les continents. Il n'empêche, le niveau technique purement orchestral et instrumental est vertigineux, servi par une esthétique sonore d’une puissance à la foi magmatique et d’une richesse dans la profondeur des timbres. Tous les pupitres de la phalange danoise rivalisent d’engagement : homogénéité des cordes, précision et individualité dans les vents et forces d’impacts des cuivres.
La discographie de ces deux symphonies est d’un niveau très élevé avec souvent des optiques narratives défendues par les grands serviteurs de l’art de Carl Nielsen : Herbert Blomstedt (Decca) ou Leonard Bernstein (Sony). Pourtant, ce disque, pertinent et engagé, impose une nouvelle référence aux sommets. On attend la suite avec impatience même si ces lectures engagées risquent de ne pas plaire à tout le monde !
Note globale : 10
Pierre-Jean Tribot