L’Orchestre de Chambre de Genève célèbre Fauré et… Ives 

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En parallèle à l’Orchestre de la Suisse Romande, l’Orchestre de Chambre de Genève propose une saison de dix concerts qui sort des sentiers battus : preuve en est le titre de l’actuelle : « Jetez-vous à l’eau ! ». 

Le deuxième de la série qui a pour cadre le Bâtiment des Forces Motrices à Genève a lieu le 4 novembre 2024, cent ans jour pour jour après la mort de Gabriel Fauré. Raphaël Merlin, le chef titulaire de la formation, inscrit donc au programme le Requiem op.48 et le Madrigal op.35 en intercalant entre ces deux œuvres une page peu connue du professeur de Fauré, Camille Saint-Saëns, intitulée Le calme des nuits datant de 1882. Mais comme le concert a pour titre In the dark, l’audace consiste à les mettre en perspective avec deux pièces orchestrales de Charles Ives, Central Park in the Dark et The Unanswered Question datant toutes deux de 1906.

En préambule, Raphaël Merlin prend la parole en expliquant que la salle sera pratiquement plongée dans le noir, alors que les quatre premières pièces seront enchaînées afin de passer progressivement vers la lumière, fût-elle intérieure, avec le Requiem de Fauré.

Et c’est par le Madrigal op.35 du même Fauré que commence le programme. Ecrit en 1883 comme un malicieux cadeau de mariage pour son ex-élève André Messager, cette épigramme, brocardant l’égoïsme cruel dans les affaires de cœur, est élaborée sur un poème d’Armand Sylvestre et est présentée ici dans une version pour chœur et orchestre datant du printemps de 1892. Y prend part l’Ensemble Vocal de Lausanne, remarquable au niveau de l’équilibre des registres, dialoguant avec l’Orchestre de Chambre de Genève qui sait ce que veut dire « accompagner »… Dans la semi-obscurité, Raphaël Merlin impose un phrasé onctueux et une sonorité chaleureuse, réduisant à la portion congrue le côté piquant du texte. L’on en dira de même de la page de Saint-Saëns, Le calme des nuits op.68 n.1, présentée ici a cappella, cultivant une nostalgie intériorisée où les paroles n’ont que peu d’importance.

Ces deux oeuvres chorales sont entrecoupées par les deux pièces orchestrales de Charles Ives. L’Orchestre de Chambre de Genève s’en fait l’éloquent défenseur. Central Park in the Dark tient de la contemplation sur fond de cordes bruissant atonalement, tandis qu’un piano suggère des bribes de ragtime qui vont en s’amplifiant pour éveiller le quartier, avant de revenir à l’imperceptible dans l’obscurité. The Unanswered Question brosse un canevas identique par le pianissimo des cordes soutenant les bois qui tentent de répondre à la trompette en sourdine juchée à l’une des extrémités du parterre. Que lui dire, alors qu’est formulée la question métaphysique sur l’existence ? Ne vaut-il pas mieux revenir au silence ?

Après quelques minutes d’intervalle, le programme se poursuit avec le Requiem op.48 de Gabriel Fauré présenté dans la seconde version pour grand orchestre datant de 1900. Raphaël Merlin en oriente l’interprétation vers un passage à la lumière suscitant un lyrisme à fleur de peau qui innerve l’exposition du Kyrie comme la généreuse envolée des cordes graves dans l’Agnus Dei. En chacune des sept séquences, l’Ensemble Vocal de Lausanne montre une parfaite cohésion des registres en évitant toute dureté dans les quelques rares forte du Tremens factus ou du Dies irae. Et les voix féminines se parent de l’angélique candeur de l’In paradisum, qualité dont est singulièrement dépourvue la malheureuse soliste au vibrato envahissant lui faisant perdre la justesse d’intonation, alors que le compositeur avait confié le Pie Jesu à un jeune garçon dans la première version de 1889. Guère plus convaincant, le baryton au timbre clair qui manque de ‘corps’ dans le Hostias et preces avant de trouver meilleure assise dans le Libera me. Mais cette ombre au tableau se dissipe avec les dernières mesures de l’In paradisum égrenées dans la vision extatique de l’au-delà. 

Après un instant de recueillement éclate un tonnerre d’applaudissements qui redouble lorsque le chef fait saluer le chœur… Un fort beau concert !

Genève, BFM (Bâtiment des Forces Motrices), le 4 novembre 2024

Crédits photographiques : © Raphaëlle Mueller

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