Luigi Rossi par la Dream Team de Warner
Luigi ROSSI (1597-1653) : La Lyra d’Orfeo ; Arpa Davidica. Véronique Gens, Céline Scheen, Giuseppina Bridelli, Philpppe Jaroussky, Jakub Jozef Orlinsky, Valer Sabadus ; L’Arpeggiata, direction Christina Pluhar. 2019. Livret en anglais, français et allemand. 159.26. 3 CD Erato 0190295372309.
Lorsqu’il est appelé à Paris par le Cardinal Mazarin en 1646, Luigi Rossi, né dans les Pouilles, a derrière lui une carrière italienne qui a démarré après ses études à Naples et s’est prolongée à Rome, au service de deux papes. Il y a fréquenté des milieux élitistes, ceux de la noblesse de cour et de robe, mais aussi des arts. Proche de l’entourage d’Urbain VIII, qui décède en 1644, il est confronté comme bien d’autres créateurs aux conflits qui apparaissent lorsque le nouveau pontife, Innocent X, est élu. Les cardinaux protecteurs de Rossi émigrent à Paris où le musicien les rejoint bientôt. Les quinze années qui vont suivre seront marquées par une série de productions d’opéras en italien, jusqu’à la disparition de Mazarin en 1661 et le début du règne personnel de Louis XIV. La notice du livret, très bien documentée, nous apprend que le Roi Soleil, à cette époque, écoutait tous les soirs quatre heures de musique italienne, et que Rossi, disparu en 1653, y tenait encore une large part. C’est dire l’importance de ce compositeur qui fut, à l’époque de Mazarin, celui « autour duquel s’est fait le plus large consensus » parce que ses œuvres vocales de chambre étaient admirées, mais aussi en raison du fait qu’il était l’auteur de l’opéra italien le plus apprécié.
Dans la présentation de ce passionnant album, Christina Pluhar explique qu’après avoir élaboré le programme « La Lyre d’Orphée » en 2004 avec Véronique Gens, un enregistrement a été réalisé en juin 2005 à l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache, mais qu’il n’a pu être publié pendant près de quinze ans suite à un problème juridique. Celui-ci enfin réglé, la résurrection du projet fait l’objet du premier CD. Christina Pluhar ajoute : « Travailler avec cette musicienne exceptionnelle qu’est Véronique Gens a été une expérience inoubliable. La musique de Rossi a pris un caractère envoûtant grâce à sa voix émouvante, à son legato porté par une respiration infinie et à la délicatesse de son sens musical. » Dont acte, car ce sont précisément les mots qui viennent sous la plume lorsqu’on se laisse baigner dans cette atmosphère raffinée qui regroupe des passages instrumentaux et des pages de Rossi tirées d’Il palazzo incantato, créé à Rome en 1642 et que le compositeur avait emmené dans ses bagages, et d’Orfeo, représenté à Paris l’année après son arrivée, en 1647. Cette œuvre lyrique marquera à ce point les esprits que bien plus tard, en 1901, Romain Rolland lui consacrera un article dans la Revue d’histoire et de critique musicale.
L’arrangement proposé par Christina Pluhar contient treize parties dont sept font l’objet d’un premier enregistrement mondial. Il confirme, comme le programme des deux autres CD de l’album, que Rossi était un digne représentant du premier baroque et que la qualité des lignes mélodiques comme la séduction des pièces entraînent l’auditeur dans un univers éthéré que l’on peut qualifier de délectable. Les indications concernant les parties instrumentales sont réduites dans les manuscrits, ce qui a nécessité des choix mais, grâce à un document original anonyme qui précise l’accompagnement du prologue d’Il palazzo incantato comme étant dévolu à sept instruments, la complexité et le coloris ont pu être mieux approchés. Christina Pluhar, qui est harpiste, a tenu compte aussi de rares remarques laissées par Rossi lui-même, insistant sur le fait qu’il tenait à ce que les récitatifs soient accompagnés au lirone. Le frère et l’épouse du compositeur maniaient eux-mêmes la harpe. Celle-ci est dès lors devenue le noyau de la basse sonore. Deux harpes triples, selon des modèles du musée d’instruments de musique de Bologne, ont été utilisées.
Pendant la période empêchant la publication de « La Lyre d’Orphée », Christina Pluhar a poursuivi ses recherches en bibliothèques en quête d’autres œuvres de Rossi, qui est l’auteur de plus de trois cents cantates. Elle a retrouvé des manuscrits à la Bibliothèque Nationale de France et à la Bibliothèque vaticane. Elle a sélectionné vingt-trois pièces qu’elle qualifie de « virtuoses et théâtrales » (dont treize en première mondiale discographique), soigneusement choisies en fonction du texte pour aboutir à cette « Harpe de David » qui occupe les deux autres CD de l’album. On lira dans le livret tous les détails de cette construction dont les thèmes sont l’amour profane, modifié parfois en amour sacré, permettant à Rossi de jouer ces pièces lors de moments spirituels. La passion, les élans affectifs, les espoirs rêvés ou déçus, les lamentations, les affres de l’âme y tiennent une large place, donnant à l’ensemble une ampleur et un climat qui se révèlent aussi langoureux ou satiriques. Les protagonistes vocaux ici réunis sont d’une qualité exceptionnelle : les contreténors Valer Sabadus, Philippe Jaroussky et Jakub Jozef Orlinsky, la soprano Céline Scheen et la mezzosoprano Giuseppina Bridelli. Ce plateau de rêve, enregistré en mai et juin 2019 (avec un air saisi en 2008), officie la plupart du temps en solo, mais, à deux reprises, Céline Scheen est en duo avec Jaroussky, puis Sabadus. On se régale à chaque instant ! Il faut saluer comme il le mérite le choix opéré pour cette mise en place, car il montre à merveille les facettes multiples du talent de Rossi, sous ses aspects lumineux, sensuels ou intimes, dans un accompagnement instrumental digne de tous les éloges, qui souligne la complexité harmonique, mais avant tout la beauté absolue d’une musique qui conduit tout droit à la délectation et à l’enchantement. Un livret copieux (près de cent pages), qui contient tous les textes chantés (mais sans traduction française, hélas), des illustrations soignées et des photographies des interprètes, vient s’ajouter à l’éblouissement sonore.
Son : 9. Livret : 10 Répertoire : 9. Interprétation : 10
Jean Lacroix