L’ultime legs discographique de Patrick Davin : des pages symphoniques de Léon Boëllmann

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Léon Boëllmann (1862-1897) : Symphonie en fa majeur op. 24 ; Variations symphoniques pour violoncelle et orchestre op. 23 ; Quatre pièces brèves pour cordes, extraites des Heures mystiques. Orchestre symphonique de Mulhouse, direction Patrick Davin. 2018. Notice en anglais et en français. 54.24. Fuga Libera FUG 780.

Ce n’est pas sans émotion que l’on aborde cet album dirigé par Patrick Davin, dont le décès brutal a endeuillé le monde musical le 9 septembre 2020. Dans une note, Jérôme Lejeune précise qu’il lui avait fait part de son souhait d’enregistrements du répertoire symphonique des organistes français de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Davin venait de graver avec l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, dont il était le directeur artistique et musical, des pages de Boëllmann qui devaient paraître chez Timpani. Mais le projet n’aboutit pas chez ce dernier éditeur et Davin le signala à Jérôme Lejeune qui en décida la publication. Personne ne pouvait hélas prévoir la disparition du chef. Le présent CD est donc, en ce qui concerne Patrick Davin, le dernier témoignage de sa vitalité et de son bonheur dans la transmission de cette « musique » dont il avait la passion. A l’intérieur de la pochette, une photographie du visage souriant du chef d’orchestre est là pour rappeler tout le charisme de cette personnalité qui manque beaucoup au monde musical. Patrick Davin était né en 1962, cent ans après Léon Boëllmann qui fait ici l’objet de deux premières discographiques, à savoir la Symphonie et les Quatre Pièces brèves.

Compositeur français originaire de Ensisheim, près de Mulhouse, dans le Haut-Rhin, Boëllmann est connu avant tout pour sa carrière d’organiste, interrompue par une disparition précoce suite à une phtisie, à l’âge de 35 ans. Cet élève d’Eugène Gigout (1844-1925) dont il était le neveu, a été pendant plusieurs années titulaire de l’orgue de l’église Saint-Vincent-de-Paul à Paris et a laissé derrière lui un catalogue de quelques dizaines de numéros au nombre desquels on répertorie de la musique symphonique ou concertante, de la musique de chambre et des pages pour piano ou pour orgue. Dans ce dernier domaine, sa célèbre Suite gothique op. 25 de 1895 et d’autres pages sont connues. Mais le reste de sa production globale est de nos jours quelque peu oublié, ce qui fait du présent album une belle découverte. 

Dédiée à Camille Saint-Saëns, la Symphonie op. 24 est créée à la fin de l’année 1894 à Nancy, sous la direction de Guy Ropartz. On lira dans la notice détaillée de Jacques Tchamkerten, musicologue et organiste suisse, le descriptif complet des aspects techniques liés à la partition, qui emprunte une part de sa construction formelle à la Troisième symphonie de [Saint-Saëns], en condensant dans un seul morceau l’allegro initial et le mouvement lent. On découvre une partition dont l’introduction apaisée fait vite place à de beaux élans romantiques, avec des passages rythmiques bien affirmés et des allures de divertissement et d’exaltation très convaincantes. Le développement de cet Allegro con fuoco est bien construit, dans le contexte d’une orchestration équilibrée, avec des thèmes chantants, de caractère tour à tour lyrique, épanoui, mélancolique ou triomphal. Le bref second mouvement est un Intermède varié : Allegro ben marcato, au sein duquel des variations à l’astucieuse instrumentation viennent diversifier un très prenant discours dont le thème entraînant évolue au sein d’une mélodie populaire. Dans le dernier mouvement, Récitatif et Final, apparaissent des allusions à des thèmes de l’Allegro con fuoco, avec des interventions de divers instruments (harpe, cors, clarinette, violon solo…) qui structurent un discours au sein duquel se déploient des phases héroïques ou chantantes, avant une brusque conclusion : cinq accords violents de tout l’orchestre.  

Cette première gravure mondiale de la symphonie est complétée par une autre, celle des Quatre pièces brèves, extraites des Heures mystiques op. 29 et 30, deux cahiers, regroupés en 1896, qui consistent en une centaine de pièces pour harmonium, alors en vogue vu son adaptation pour les lieux qui ne disposaient pas de moyens suffisants pour l’achat d’un orgue. Ces quatre pièces tirées des deux recueils sont de courte durée et destinées aux cordes. Un Allegro au thème populaire précède un Moderato servi par le violoncelle, avec pizzicati des autres cordes, puis par le violon et les altos, dans un climat quelque peu élégiaque. Une Toccata alerte sert de troisième mouvement, avant un Andantino dans lequel on retrouve, selon les termes de la notice, une suavité saint-sulpicienne

Entre ces deux pages inédites trouvent place les Variations symphoniques pour violoncelle et orchestre de 1892, programmées en concert de temps à autre. Paul Tortelier en a laissé une version enflammée en 1978 avec le Royal Philharmonic Orchestra dirigé par Yan Pascal Tortelier (Warner), mais l’œuvre existe aussi par Oliver Gledhill avec accompagnement de piano (Guild). C’est une page à la fois héroïque, d’une ampleur qui allie la noblesse à la confidence, et gorgée de lyrisme, avec des dialogues entre divers instruments de l’orchestre. Une partition sensible, avec un violoncelle débordant de sève, qui se conclut dans une atmosphère brillante. Henri Demarquette sert avec brio cette musique dont la séduction est immédiate. 

Patrick Davin a été le directeur musical et artistique de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse de 2013 à 2018, moment où il a passé le relais à Jacques Lacombe. Le présent enregistrement a été effectué en janvier 2018 dans la salle de concerts La Filature. La formation de la cité alsacienne répond avec chaleur et précision à son chef dont le geste généreux, si souvent souligné, apparaît avec clarté dans cette mise en évidence d’un répertoire peu courant.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8, 5  Interprétation : 10

Jean Lacroix

Hommage à Patrick Davin

 

 

 

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