Mahler transcendé : Semyon Bychkov et l’Orchestre philharmonique tchèque subliment la Troisième Symphonie

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°3 en ré mineur. Catriona Morison, mezzo-soprano ; Prague Philharmonic Choir, Pueri gaudentes, Czech Philharmonic, direction : Semyon Bychkov. 2024. Livret en anglais. 2 CD Pentatone PTC: 5187363
La Troisième Symphonie de Gustav Mahler, est un sommet musical ne serait-ce qu’en raison de durée et de son projet. Une sorte d’Annapurna, de premier 8000 avant le reste de la chaîne montagneuse que sont les 6, 7 et 8emes symphonies.
Avant de se lancer à l’assaut d’une telle pente Semyon Bychkov et l'Orchestre philharmonique tchèque ont déjà fait des merveilles dans les symphonies 1, 2, 4 et 5. Impossible de ne pas se dire que l'on tient là peut-être le début de la grande intégrale des années 2020. Cela en prend le chemin en tout cas ! Profondeur et sensibilité sont à nouveau au rendez-vous de ce troisième opus.
Dès les premières mesures du terrible premier mouvement, l'orchestre déploie une palette sonore riche et nuancée. Les huit cors initiaux instaurent une atmosphère à la fois puissante et mystérieuse, évoquant les forces primordiales de la nature. Sous la baguette précise et inspirée de Bychkov, les différentes sections de l'orchestre dialoguent avec une clarté remarquable, mettant en lumière la complexité et la profondeur de la partition mahlérienne. Le charme opère. C’est tout simplement captivant.
Le deuxième mouvement contraste par sa légèreté et son élégance. Les bois y brillent particulièrement, offrant des interventions délicates et expressives qui rappellent la beauté fragile de la nature en éveil. Bychkov parvient à insuffler une dynamique fluide, respectant les subtilités rythmiques et harmoniques de l'œuvre. C’est un chef qui prend des risques calculés.
Le troisième mouvement, avec son célèbre solo de trombone, est interprété avec une intensité poignante. Le soliste, d'une maîtrise technique irréprochable, exprime une mélancolie profonde, capturant l'essence même du message mahlérien. L'orchestre soutient avec une sensibilité accrue, créant des contrastes saisissants entre les passages introspectifs et les élans plus dramatiques. On sent une formation rompue à ce répertoire (Ancerl, Inbal, Neumann...).
Dans le quatrième mouvement, Catriona Morison apporte une chaleur et une densité émotionnelle qui touchent au cœur. Sa voix, parfaitement intégrée à la texture orchestrale, donne vie au texte de Nietzsche avec une sincérité désarmante. C’est un aveu d’humanité. Les chœurs rejoignent ensuite l'ensemble dans le cinquième mouvement, apportant une luminosité et une pureté qui élèvent l'auditeur vers des sphères célestes.
Le final, véritable hymne à l'amour universel, est conduit avec une maîtrise et une intensité croissante. Bychkov sait doser chaque crescendo, chaque nuance, menant l'orchestre vers une apothéose émotive qui laisse l'auditeur profondément ému. La cohésion de l'Orchestre philharmonique tchèque, combinée à la vision artistique de Bychkov, offre une interprétation de la Troisième Symphonie de Mahler qui restera sans doute comme une référence contemporaine incontournable pour les mahlériens avertis et les mélomanes de tous bords.
Son : 10 livret : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Bertrand Balmitgère