Mariam Batsashvili, un voyage attachant au cœur de la sonate
Influences. Joseph Haydn (1732-1809) : Sonate pour clavier en ré Hob. XVI :37. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonate pour piano n° 18 en ré K. 576 « La Chasse ». Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 23 en fa mineur op. 57 « Appassionata ». Franz Liszt (1811-1886) : Années de pèlerinage II (Italie) : Après une lecture de Dante : Fantasia quasi Sonata S. 161/7. Mariam Batsashvili, piano. 2024. Notice en anglais, en français et en allemand. 68’. Warner 5021732535177.
Pour expliquer le choix du programme de son nouvel album, la pianiste géorgienne Mariam Batsashvili (°1993) précise sa démarche à Chloe Cutts, la rédactrice de la notice : J’ai pensé qu’il serait intéressant de montrer comment ces quatre compositeurs s’expriment par le biais de la sonate et j’ai choisi l’ordre chronologique pour faire parcourir un voyage à l’auditeur. Cette artiste qui, après une formation dans son pays natal, a étudié à la Hochschule für Musik Franz Liszt de Weimar et a remporté le Concours Liszt d’Utrecht en 2014, s’est déjà fait connaître par d’autres gravures chez Warner. Liszt, avec lequel ses affinités sont manifestes, est présent de façon récurrente dans ses enregistrements. C’est encore le cas cette fois, en conclusion d’une affiche attachante, qui ne manque pas de contrastes.
Pour étayer son propos, Mariam Batsashvili offre d’abord à la célèbre Sonate n° 37 de Haydn, qui a été publiée en 1780, un contexte plaisant, badin, sinon primesautier, qui lui convient tout à fait. Les frémissements de l’Allegro initial précèdent les confidences de la noble sarabande du Largo, avant un Presto final irrésistiblement spirituel. La pianiste la considère comme un petit joyau précieux et unique dans le répertoire ; c’est ce bijou qu’elle sertit avec gourmandise. Mozart suit, neuf ans après. Nous sommes en juillet 1789, à Vienne, pour sa Sonate n° 18, appelée « La Chasse » en raison d’un arpège initial qui évoque un cor. Ici aussi, le divertissement est de mise, avec un Allegro ludique dans ses jeux contrapuntiques, un Adagio expressivement ornementé et un Allegretto pétillant de vie et de clarté. La soliste convainc aisément, avec son jeu perlé et sa capacité à dessiner les richesses de cet autre bijou.
Haydn est encore bien vivant lorsque Beethoven compose en 1804-1805 son opus 57, la sonate Appassionata, titre donné à la partition par un éditeur en 1838. Ici, l’éloquence prime. Mariam Batsashvili résume son approche vivifiante de l’Allegro assai initial : Les changements de dynamique se succèdent rapidement et cet élément de surprise est ce qui rend ce mouvement tellement captivant. Elle poursuit : La Sonate progresse en une forme de récit : le deuxième mouvement nous emmène dans un royaume divin, spirituel, méditatif et paisible, tandis que le final revient à l’énergie appassionata. Technique assurée, la soliste nourrit d’intensité son discours pour assurer à cette magnifique partition la part de nouveauté beethovenienne, qu’elle présente de façon affirmée et persuasive en jouant sur les sonorités grâce à un chant épanoui.
En toute logique, Liszt pour terminer. Sa présence n’étonne plus : il est présent, nous l’avons dit, dans chaque gravure de Mariam Batshasvili. Ici, c’est Après une lecture de Dante : Fantasia quasi una Sonata, cette page brûlante, haute en couleurs, avec ses fulgurances, mais aussi ses visions de béatitude ou de souffrance, qui emprunte son titre au poème de Victor Hugo, paru en 1836 dans Les Voix intérieures. La soliste avoue que cette œuvre, qu’elle a nourri de la lecture des tourments décrits par Dante dans son Enfer, l’a impressionnée pendant son travail de préparation, avec le sentiment que le Diable l’observait. Mais elle souligne aussi la part de spiritualité qui s’y trouve. Elle en traduit toute la puissance et la passion, lui apportant une dimension presque orchestrale, qu’elle maîtrise en évitant la tentation du côté grandiose. Mariam Batsashvili clôture ainsi en beauté un récital qui confirme la diversité de ses qualités intrinsèques, mais aussi sa capacité à rendre à chacun des univers qu’elle aborde sa part de vérité.
Son : 9 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix