Menahem Pressler, une leçon d'Art et de Vie
Depuis la fin du Beaux-Arts Trio qu'il avait fondé en 1955 et dont il fut la colonne vertébrale jusqu'au dernier concert à Leipzig lors du Festival Mendelssohn en 2009, Menahem Pressler n'a jamais été aussi présent sur les scènes tant en Europe qu'aux Etats-Unis et au Japon. Je me souviens avoir rencontré le presque nonagénaire peu de temps après son dernier récital en Trio pour qu'il me parle de ses projets. La fin du Beaux-Arts Trio tenait simplement à un problème d'agenda : les carrières internationales d'Antonio Meneses, le dernier violoncelliste de l'Ensemble et de Daniel Hope, son dernier violoniste prenaient un tel développement qu'il était malaisé de programmer les répétitions et les concerts. Des projets, Menahem Pressler en avait plein les yeux et la tête : "Menahem Pressler & Friends"... un nouveau parcours l'attendait. Mais l'artiste allait aussi renouer avec ses premières amours : la carrière de soliste. Car c'est en soliste qu'il avait fait ses débuts avec son Premier Prix au Concours Debussy en 1946. Quant à ses activités dans l'enseignement qu'il considère comme une "transmission", elles se poursuivent aujourd'hui encore à Bloomington et lors de Master Classes aux deux côtés de l'Atlantique.
En 2011, il reçut le "Lifetime Achievement Award" des ICMA. Le "Jeune Artiste de l'Année" était David Kadouch. On ne peut oublier la générosité avec laquelle l'"Ancien" suivait les répétitions du "Plus Jeune" et l'enthousiasme qu'il faisait partager à tous les membres du jury.
Mais venons-en aux 4 DVD qui lui sont ici consacrés.
Le premier débute par le Concert de Nouvel An 2014 qu'il donna à la Philharmonie de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle. "Jouer avec le Berliner Philharmoniker, je n'y croyais pas!" dit-il. Et Rattle et tout l'orchestre -un Ensemble parfait, dira le pianiste- jubilent de la musique qui émane du Concerto K. 488 en La Majeur de Mozart. On l'entendra dans ce même concerto avec l'Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Järvi; plus extraverti, plus allant... et toujours prudent dans l'allegro assai du 3e mouvement. Avec Järvi encore, le K. 595 dont il raconte le mouvement final, dialogue avec les clarinettes et le hautbois dans une oeuvre dont il traduit le côté tragique malgré le caractère dansant,... typiquement mozartien. En conversation avec Paavo Järvi, Pressler nous parle de son amour pour Mozart dont il considère les concertos comme la plus belle musique de chambre mais imagine aussi les scénarios de l'opéra.
Dans cette série de DVD, on retrouve le récital donné le 23 mars à la Cité de la Musique à Paris. Au programme : Beethoven (op. 110), Chopin (Mazurkas - 20e Nocturne), Debussy (Estampes), Schubert (Sonate en Si bémol Majeur D. 960)... excusez du peu !). Un autre DVD est consacré aux nouveaux "Friends" de Menahem : le Quatuor Ebène, le ténor Christoph Prégardien et le contrebassiste Benjamin Berlioz avec qui il donnait le concert consacré à son 90e anniversaire à la Salle Pleyel le 7 novembre 2013. Au programme : Dvorak (Quintette op. 81), Schubert (4 Lieder du Winterreise - Quintette D.667, "La Truite"), Chopin (20e Nocturne). C'est au Festival de Verbier, l'année précédente, qu'il avait donné l'intégrale des Winterreise avec Christoph Prégardien; il nous disait alors combien il avec le trac... c'était la première fois de sa vie qu'il accompagnait un chanteur. Aussi, et comme ici à Pleyel d'ailleurs, il ne quitta pas des yeux le ténor, épiant sa respiration et chacun de ses gestes pour en épouser l'expression au plus intime.
Plusieurs plages du premier DVD sont également consacrées à un portrait réalisé par Grete Liffers. Il évoque sa triple vie de père, de professeur et d'artiste; on le voit en enregistrement d'une sonate de Mozart, en récital, en concert; le Quatuor Ebène et Daniel Hope lui rendent un émouvant hommage : "quand on a passé 70 ans de vie dans la musique, on "est" musique"; "nous sommes tous différents quand il est là; il communique toujours tout l'amour qu'il met dans la musique"; "il joue comme un jeune homme"; "pour lui, s'exercer, c'est parler avec le piano". En Master Classe avec une jeune japonaise jouant le concerto de Schumann : "on ne l'entend pas parler; c'est vous qui jouez...".
Un magnifique hommage à un artiste toujours en quête de la Beauté par la Musique. "Je suis chanceux" dit-il. Ma femme m'appelle "Lucky Mushroom" ; j'ai le privilège de jouer; j'ai toujours le trac car j'ai toujours peur de ne pas être à la hauteur; il faut aimer ce que l'on fait car quand on aime, on s'abandonne; je suis motivé, optimiste et j'aime la vie; ma patrie est Israël, ma culture est allemande et je vis aux Etats-Unis, j'ai trois patries et un grand coeur"... Une leçon d'art et de vie...
Bernadette Beyne
Menahem Pressler, The Pianist, 4 DVD, sous-titres en anglais, allemand, français, Erato 2061618