Mieczyslaw Weinberg et l’intensité expressive des cordes

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Mieczyslaw WEINBERG (1919-1996) : Symphonies de chambre n° 2 pour cordes et timbales op. 147 et n° 4 pour cordes, clarinette et triangle op. 153 ; Sinfonietta n° 2 pour cordes et timbales op. 74 ; Concerto pour flûte et cordes n° 2 op. 148bis. Kornel Wolak, clarinette ; Łukasz Długosz , flûte ; Beata Slomian, triangle ; Piotr Szulc, timbales ; Orchestre de Chambre Amadeus de la Radio polonaise, direction Anna Duczmal-Mroz. 2019. Livret en polonais et en anglais. 99.39. Dux 1632/1633 (2 CD).

Après les Symphonies 2 et 7 de Weinberg que nous avons évoquées récemment dans ces colonnes, le label polonais Dux propose un nouveau programme de ce compositeur auquel la commémoration des cent ans de sa naissance en 2019 a enfin rendu justice. C’est encore l’Orchestre de chambre Amadeus de la Radio polonaise qui officie, sous la direction de sa directrice musicale, Anna Duczmal-Mroz, qui semble vouloir se faire une spécialité d’un univers musical qu’elle sert avec bonheur, même si la référence pour les quatre symphonies de chambre demeure Gidon Kremer à la tête de la Kremerata Baltica chez ECM. 

Comme dans la précédente livraison (Dux 1631), c’est à l’abondante production pour cordes que cet album de deux CD est entièrement dévolu. Il s’ouvre par la Symphonie de chambre n° 2, l’opus 147 de 1987, une partition au profil dramatique, introduite par un menaçant coup de timbales. La tension règne tout au long des trois mouvements, d’une grande expressivité, notamment dans un Pesante moderato qui révèle bien son intention en accentuant le climat d’angoisse presque paroxystique qui l’envahit. L’Andante sostenuto conclusif, au cours duquel un dialogue tendu entre le violon soliste et ses partenaires se fait entendre, se déploie en motifs rythmiques divers.

Le clarinettiste Kornel Wolak, né en 1979, est une vedette dans sa spécialité sur la scène polonaise, mais aussi internationale. Le contrôle de la technique a pris chez lui des proportions de référence, il est d’ailleurs l’auteur de toute une série de publications scientifiques sur l’utilisation de son instrument. Au Canada, où il effectue des recherches, on évoque son art consommé d’un son à la fois glorieux, intensément lyrique et imaginatif, avec des couleurs du plus bel effet. La Symphonie de chambre n° 4, qui date de 1992, confirme les qualités de ce virtuose à travers un sensible Lento introductif, un dynamique Allegretto, un Adagio au cours duquel l’intrication cordes/soliste se déroule dans une atmosphère émaciée, avant que l’Andantino final, sous ses airs de fausse joie, se conclue par une courte coda réservée à la clarinette sur un tapis de cordes douces. Magnifique partition tardive… 

Le second CD pêche par sa brièveté : 38 minutes, c’est bien peu. Il y avait de la place pour ajouter le Concerto pour flûte n° 1, par exemple, qui serait venu compléter l’écoute du Concerto pour flûte n° 2 de 1987 proposé ici (Naxos a réuni les deux sur un CD récent, où l’on trouve aussi d’autres pages pour l’instrument). Cette œuvre à tendance plus optimiste que bien des partitions de Weinberg contient des passages d’une douceur infinie, signe possible d’une introspection du créateur, comme on peut le constater dans le Largo central, au cours duquel est entamé un processus de contemplation et de réflexion que la flûte rend presque hypnotique. Cette version paraît plus investie que celle de Naxos dans le chef du soliste. Sans nier les qualités de Claudia Stein dans sa version avec le Philharmonique de Szczecin sous la direction de David Robert Coleman, le tempo légèrement plus lent adopté ici par Lukasz Duglosz rend mieux compte de cette narration. Ce n’est sans doute qu’une poignée de vingt secondes, mais elles sont lourdes de sens. Lukasz Duglosz, qui a étudié à Munich, puis à Paris et à New-York, est lauréat de plusieurs concours internationaux. Il a joué à plusieurs reprises le Concerto pour flûte de Penderecki sous la baguette du compositeur. Il est à l’aise face aux volutes et aux arabesques de Weinberg que sa flûte dessine avec efficacité.

Ce concerto est précédé par la Sinfonietta pour cordes et timbales op. 74, une œuvre qui date de 1960, bien antérieure aux autres partitions de cet album Dux. Sa douceur expressive offre une belle introduction à la complexité de la forme qui apparaît fragmentée, comme à l’économie de moyens, réalisée par de courts motifs mélodiques qui se développent tour à tour. Ceux-ci montrent à quel point Weinberg maîtrise l’écriture des cordes, que les timbales, comme des zébrures, ponctuent de temps à autre. La notice ne donne aucune information sur le timbalier qui officie aussi dans l’opus 147, mais son nom, Piotr Szulc, figure en toute logique en présentation.

Une fois de plus, cet album confirme à quel point l’œuvre de Weinberg s’inscrit dans le paysage de la musique du XXe siècle avec une singulière importance, qui n’est pas celle d’une sorte de copie de Shostakovitch, étiquette que certains (de moins en moins nombreux) s’obstinent encore à vouloir lui faire porter, mais au contraire comme un créateur original qui doit être installé à sa juste place. 

Son : 8  Livret : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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