Mon Casse-Noisette, selon Béjart

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Sur la gauche se dresse un sapin de Noël maigrichon, avec quelques boules et guirlandes éparses, qui semblent avoir survécu aux années précédentes ; un enfant est assis tristement devant l’arbre, car sa mère est morte quand il avait sept ans. Miracle : sous les traits d’Elisabet Ros, elle réapparaît tout à coup en déposant à ses pieds un petit cadeau. C’est ainsi que se présente ce Casse-Noisette revisité par Maurice Béjart qui le produisit pour la première fois au Teatro Regio de Turin le 4 octobre 1998, et que reprennent, vingt ans plus tard, Gil Roman et le Béjart Ballet Lausanne au Théâtre de Beaulieu.

Au milieu de la scène, est projeté en noir et blanc le visage de Maurice qui déclare : « Je me souviens ! Noël … Marseille … les treize desserts … mon préféré, les noix. Mon père m’avait montré que l’intérieur est comme un petit cerveau humain ». Par le subterfuge de la mémoire, le garçon, surnommé Bim (campé par Kwinten Guilliams), se crée son monde d’images en se construisant son théâtre de marionnettes. Alors que des haut-parleurs de qualité exécrable vous lacèrent les oreilles en diffusant la version discographique du ballet de Tchaikovsky réalisée par Mariss Jansons et le London Philharmonic Orchestra, se profile une gigantesque effigie de la mère, imaginée par Roger Bernard, pivotant sur elle-même pour faire apparaître deux anges (Julien Favreau et Javier Casado Suarez) et deux fées (Kathleen Thielhelm et Valerija Frank). Devant Félix le Chat (Masayoshi Onuki), le gosse joue des scènes du Faust de Goethe en confiant le rôle à sa sœur Claude (Oona Cojocaru), tandis que lui-même incarne Méphisto. Devenu plus mûr par l’adolescence (sous l’apparence de Mattia Galiotto), Maurice veut retrouver l’esprit de la chorégraphie originale élaborée par un Marseillais, Marius Petitpa (Gabriel Arenas Ruiz), qui devient un nouveau diable ensorcelant la nuit de Noël ; c’est pourquoi, ayant travaillé à Londres avec son héritier direct, Nicholas Sergeyev, il respectera à la lettre le Grand Pas de deux concluant l’ouvrage, confié ici aux trop jeunes Mari Ohashi  et Jiayong Sun qui ne possèdent en rien le charisme de deux étoiles.

Mais pour revenir au premier tableau et à la Valse des flocons de neige, devant les scouts et écoliers médusés, les deux anges, arborant des barbichettes à la Conchita Wurst, escortent un traîneau : paraît la Fée Marraine, l’accordéoniste Lisa Biard succédant à la mythique Yvette Horner, qui ajoute une sonorité astringente à la partition, soi-disant restituée scrupuleusement ; et au second acte, lors du divertissement, elle représentera le Paris du bal musette en égrenant Sous les ponts de Paris, Les Roses blanches, Indifférence de Tony Murena, et glissera même un Air varié de Bach, tout en agrémentant de ses notes poussives la Valse des fleurs et l’Apothéose. Et c’est dans une arène de cirque que  les matadors et tête de taureau sur roulette symbolisent l’Espagne, les cyclistes se substituent aux mirlitons, la femme au cercueil transpercé par les sabres évoque les Pays arabes et que deux danseurs échappés de La Bayadère rappellent la Russie des Théâtres Impériaux. Lorsque le rideau tombe, une constatation : mon cher Maurice, vous nous avez abondamment parlé de votre enfance ; mais où était donc Casse-Noisette ?

Paul-André Demierre

Lausanne, Palais de Beaulieu, 19 XII 2018

Crédits photographiques : Casse-Noisette ©BBL - Gregory Batardon

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