Mozart malgré tout : Cosi fan tutte à La Monnaie

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Le duo de metteurs en scène Clarac-Deloeuil a donc fait un pari : considérer les trois opéras de Mozart-Da Ponte (Le Nozze di Figaro, Don Giovanni et Cosi fan tutte) comme « une seule et même histoire en trois épisodes », se déroulant dans un décor unique. Une immense bâtisse à plusieurs étages, façades ouvertes, et tournant (ce qu’elle avait refusé de faire la semaine dernière à l’occasion des Nozze) pour qu’apparaissent les différents lieux, situations et contrepoints de l’action. Ils ont inventé des liens de parenté entre les personnages : le Comte Almaviva est le frère de Don Giovanni, Cherubino le fils de Don Giovanni et de Dona Elvira… Ils ont actualisé les professions : Fiordiligi et Dorabella devenues Youtubeuses, Don Giovanni tenancier d’un club privé, Masetto tatoueur… Mais surtout, ils ont souhaité que tout cela soit très significatif quant au féminisme et aux genres. Pourquoi pas. Mais pour quel résultat ?

Un vrai bonheur est celui des voix, celui de l’orchestre. Une des retombées positives de leur initiative est en effet que, en un temps ramassé, nous découvrons les mêmes chanteurs dans des rôles mozartiens différents. C’est ainsi que Björn Bürger est Almaviva et Don Giovanni, Simona Saturova la Comtesse et Dona Anna. Dans Cosi, tous s’imposent, dans une caractérisation vocale bienvenue de leurs rôles qu’ils investissent aussi de l’énergie de leur jeu scénique : Ginger Costa-Jackson-Dorabella, Iurii Samoilov-Guglielmo, Juan Francisco Gatell-Ferrando, Caterina Di Tonno-Despina, Riccardo Novaro-Don Alfonso, et particulièrement Lenneke Ruiten-Fiordiligi. Quant à Antonello Manacorda, il dirige toute cette histoire de dupes dans un tempo aussi soutenu que nuancé. La musique est en fête.

Malheureusement -même si le décor est superbement pensé, construit, meublé et colorié (une couleur signifiante par opéra : le bleu pour Le Nozze, le jaune pour Cosi, le rouge pour Don Giovanni) -, ce qui s’impose à nos yeux finit par agacer. Le reproche majeur est de distraire encore et encore de l’essentiel. Les images scéniques qui prétendent expliciter ce qui se trame, compromettent l’attention pour ce que disent si merveilleusement les airs, dans leurs mots et dans leurs notes. Que l’on ne m’accuse pas d’être d’une génération dépassée ou d’être un réactionnaire obtus : comment par exemple peut-on reléguer là-bas tout en haut, sur le « rooftop » (c’est ainsi que cela s’appelle), un moment musico-dramatique important dans l’évolution d’un personnage, alors que le regard est confisqué par une séquence sado-maso-pool dance-flirtage appuyé confiée à des travestis spectaculaires. A un autre moment, Don Giovanni, qui passe par là, fait sa séance quotidienne de boxe, ou bien Donna Anna, devenue claveciniste, donne un concert capté sur grand écran. Je pourrais multiplier les exemples de cet « art de la distraction ». Tout cela au profit d’une lecture finalement banale et réductrice. Ces concepteurs de « dramaturgie actualisée conscientisée » oublient que, étant donné le long temps que suppose la concrétisation de toute production lyrique, leur idée géniale initiale est devenue lieu commun au moment de la création. De plus, et c’est le critère des grandes mises en scène, ils n’ouvrent pas d’horizons nouveaux de compréhension, surlignant ce qui va de soi dans les œuvres.

Mais Mozart s’impose, malgré tout.

Bruxelles, La Monnaie, le 8 mars 2020

Crédits photographiques : Forster

 

 

 

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