Musique de chambre de Sir Charles Villiers Stanford, résolument romantique

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Sir Charles Villiers Stanford (1852-1924) : Quintette à clavier en ré mineur op. 25. Fantaisie en la mineur pour cor, deux violons, alto et violoncelle. Fantaisie n° 2 pour clarinette, deux violons, alto et violoncelle. Nikolaus Resa, piano, et Membres du Rundfunk-Sinfoniorchester Berlin : Dániel Ember, cor ; Christoph Korn, clarinette ; Anne Feltz et Brigitte Draganov, violons ; Alejandro Regueira Caumel, alto, et Georg Boge, violoncelle. 2017 et 2018. Notice en allemand et en anglais. 64.22. Capriccio C5381.

Nul, plus que Charles Villiers Stanford, n’incarne la figure du musicien de l’establishment, couvert d’honneurs, de charges et de gloire officielle, écrit Gérard Gefen dans son Histoire de la musique anglaise (Paris, Fayard, 1992, p. 217). Né à Dublin, originaire d’un milieu anglo-irlandais aisé et intellectuel, le jeune Charles, qui deviendra organiste, chef d’orchestre, pédagogue et compositeur, étudie aussi le piano et le violon, et entre au Collège de Cambridge, où il reçoit le titre de Master of Arts. Il va se perfectionner en Allemagne au courant des années 1870, avec Carl Reinecke et Friedrich Kiel, qui comptera notamment parmi ses élèves Ignacy Paderewski. De retour en Angleterre, il devient professeur de composition au Royal College of Music, puis à Cambridge. Il y fera toute sa carrière. Devenu en même temps chef d’orchestre, il se produit dans plusieurs pays européens ; il est anobli en 1902. 

Le catalogue de Villiers Stanford est riche : une dizaine d’opéras, de la musique de scène, sept symphonies (un remarquable coffret de l’intégrale chez Chandos par l’Ulster Orchestra, sous la direction de Vernon Handley), des concertos, pour piano et pour violon, de la musique de chambre, dont huit quatuors à cordes, des pièces pour piano ou pour orgue, et, en bon Anglais qui se respecte, beaucoup de musique vocale, dont un oratorio, une messe, un Te Deum et un Stabat Mater. Son œuvre est méconnue en dehors du Royaume-Uni, pour ne pas dire inconnue. Fondamentalement romantique et conservateur, Villiers Stanford est à considérer comme un jalon de la musique anglaise, en particulier de la période victorienne qu’il a prolongée, sur le plan musical, vingt ans au-delà de la disparition de la reine Victoria. Il s’est inspiré régulièrement de thèmes nationaux, anglais ou irlandais. La postérité n’a pas été des plus positives envers lui, le reconnaissant avant tout pour ses qualités de pédagogue. Parmi ses élèves, on relève, excusez du peu, les noms de Bliss, Bridge, Howells, Holst, Ireland, Moeran ou Vaughan Williams. Dans son livre, Gérard Gefen cite (p. 218) ce qu’il nomme une phrase assassine, œuvre du critique Bernard Shaw, qui écrivit un jour : « La musique de Stanford témoigne du conflit effroyable entre l’aborigène celte et le professeur. » Face à cette remarque dévastatrice, le présent CD, consacré à de la musique de chambre, est le bienvenu pour se faire sa propre opinion.

Le programme propose des œuvres de deux époques différentes de la création de Villiers Stanford. Le Quintette à clavier op. 25 est daté de 1887. Il est séduisant à l’audition, avec des élans chaleureux ou mélancoliques, qui ne sont pas sans rappeler l’atmosphère brahmsienne. Il s’ouvre par un Allegro moderato agitato de large dimension (plus de treize minutes), au sein duquel le piano est tout de suite rejoint par les cordes avec lesquelles il va construire un décor élégiaque, qui reflète en priorité la tristesse et la nostalgie. Les mélodies s’enchaînent dans un contexte éminemment romantique, qui s’est sans doute nourri aussi de Schumann. Le piano joue un rôle important, avec finesse, dans la mise en valeur des rythmes, nobles et lyriques, qui assurent à chaque intervenant sa part de séduction. Un Scherzo quelque peu primesautier prolonge ce chant collectif de manière plus enjôleuse. La joie n’est en effet pas absente de l’inspiration de Stanford : l’Adagio expressivo respire le bonheur de vivre et la béatitude, avec de superbes harmonies enchevêtrées, avant un Allegro risoluto bien enlevé, qui clôture cette partition de près de quarante minutes, dont on ne peut s’empêcher d’apprécier les aspects charmeurs, inscrits dans une ligne sensible et généreuse. Le pianiste berlinois Nikolaus Resa pratique régulièrement la musique de chambre, ainsi que le partenariat avec des chanteurs (Thomas Brandis, Wolfgang Boettcher…). Son jeu à la fois spontané et énergique se combine idéalement avec celui des quatre solistes du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, à savoir les violonistes allemandes Anne Feltz, qui a notamment travaillé avec l’Ensemble Mosaik, et Brigitte Draganov, souvent dans la fosse de Bayreuth, de l’altiste espagnol Alejandro Regueira Caumel ou du violoncelliste berlinois Georg Boge, qui s’investit beaucoup dans des projets éducatifs. La complicité de ces partenaires, qui officient ensemble dans ce même orchestre depuis plusieurs années, donne à cette partition trop négligée une inattendue reconnaissance. Cette version déploie plus de charme que celle de Piers Lane avec le RTÉ Vanbrugh Quartet (Hypérion, 2006) ; c’est donc elle que nous conseillerons aux mélomanes curieux, qui pourront ainsi se rendre compte que le jugement de Bernard Shaw cité plus avant comportait sa part d’exagération. Ce qui n’était pas, dans son chef, chose rare… 

Le programme est complété par deux Fantaisies sans numéro d’opus, de 1922, donc de la fin de la carrière de Villiers Stanford. Si les mêmes quatre cordes sont présentes, le cor remplace le piano dans la première, la clarinette dans la seconde. Il s’agit de deux partitions pleines d’épanchements lumineusement lyriques, toujours typiquement romantiques, mais d’une grâce et d’une finesse que l’on goûte sans préjugé. Le Hongrois Dániel Ember au cor, qui fait lui aussi partie de l’Orchestre du Festival de Bayreuth, et l’Allemand Christoph Korn à la clarinette, qui a déjà œuvré avec le Symphonique de la Radio de Bavière ou le Philharmonique de Berlin, servent ces pages avec la ferveur et la subtilité requises. Le résultat est un beau travail d’équipe, qui met en évidence ces pages dont la mise à disposition documente l’histoire de la musique anglaise de façon appropriée. Les amateurs de musique de chambre d’essence romantique ne seront en tout cas pas déçus.

Son : 9    Notice : 8    Répertoire : 8    Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

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