Benoît Mernier, inspirations multiples
Benoît Mernier, organiste et compositeur belge, est à l’honneur d’un concert Namur Concert Hall. Lors de ce concert intitulé “Miroirs Vénitiens”, le vendredi 5 mai prochain, le public du Namur Concert Hall pourra découvrir une de ses nouvelles compositions. Timothée Grandjean et Alex Quitin, reporters de l’IMEP, rencontrent Benoît Mernier pour évoquer sa nouvelle création et les autres développements de sa riche actualité.
Lors du concert “Miroirs Vénitiens” du vendredi 5 mai, le public du Namur Concert Hall pourra découvrir une de vos nouvelles compositions. Pouvez-vous nous faire la genèse de cette œuvre ?
Jérôme Lejeune, fondateur du label Ricercar, a toujours marqué un vif intérêt pour la musique d’aujourd’hui. Il est aussi l’administrateur de l’ensemble Clematis. Il m’a contacté ainsi que le compositeur liégeois Michel Fourgon pour nous proposer de nous associer à un programme de concert intitulé « Miroirs vénitiens ». Il s’agissait donc d’écrire des œuvres nouvelles dialoguant avec du répertoire italien du XVIIe siècle. Dans mon travail de compositeur, j’ai toujours été sensible à la question de la tradition. Comment, par la création d’aujourd’hui, prolonger, commenter la musique du répertoire ? C’est une question qui m’est chère. Pour moi, la création doit s’ancrer dans une réalité. Elle doit parler au public et faire écho dans un souci de communication, détachée d’une certaine forme d’abstraction. Elle ne peut se refermer sur elle-même sous peine d’être morte née. Il n’est pas question ici de nostalgie ou d’obédience à des formes passées mais plutôt d’un acte d’émulation : comment la musique du passé peut-elle nous inspirer des formes nouvelles dans un souci de reliance. Je pense qu’aujourd’hui nous avons besoin à tous les niveaux de créer du lien. Créer du lien entre les individus et aussi entre les différentes formes d’expressions artistiques. Nos sociétés sont menacées par l’éclatement et le repli sur soi. L’Art a plus que jamais pour mission de relier les choses entre elles, de faire sens. Pour moi, il est moins question de « faire œuvre » que de créer du lien. À cet égard, ce projet a donc retenu mon attention et mon envie.
Votre composition sera associée aux œuvres anciennes principalement puisées dans le répertoire vénitien du XVIIe siècle de Biagio Marini et Giovanni Legrenzi. L'ensemble Clematis joue donc sur des instruments anciens. Est-ce un défi d’écrire pour ce type d’instruments ? Il y a-t-il des enjeux particuliers au niveau de la notation par exemple ?
Écrire pour des instruments anciens demande effectivement de repenser un certain nombre de choses. Il y a bien sûr les questions techniques. Un exemple : le violon baroque se joue sans mentonnière ; les gestes compositionnels doivent être donc être adaptés à cette réalité. Il ne s’agit pas de se sentir limité mais de comprendre ce qui fait la caractéristique de cet instrumentarium. Le démanché (ou le fait de passer rapidement d’une position à une autre sur le violon ou le violoncelle) ne peut pas être imaginé comme sur les instruments modernes. Par ailleurs, le travail sur le jeu d’archet est beaucoup plus subtil et différencié à l’époque baroque qu’après la révolution française. On sait que le chant était au XVIIe et XVIIIe siècles le modèle absolu. Le jeu d’archet baroque s’inspire de cela. On va parler de consonnes plus ou moins définies, un peu comme les coups de langue pour les instruments à vent. Il y a donc là un champ d’expérience très fertile et stimulant. Mes pièces écrites pour ce projet travaillent beaucoup sur cette question. Je me suis inspiré des pratiques et notations de l’époque mais avec un imaginaire d’aujourd’hui. L’expressivité est toujours au centre de mon attention, que soit en tant qu’interprète à l’orgue ou dans mon travail de compositeur. Cette question est cruciale à l’époque baroque, particulièrement pour la musique italienne animée par les « affetti » développés par des compositeurs tels que Monteverdi pour le chant et Frescobaldi essentiellement pour le clavier, ainsi que par leurs descendants. Je me suis donc senti très en phase en écrivant pour ce projet.