Noël à Cologne, pèlerinage à Kevelaer : deux nouvelles parutions en chant & orgue chez Aeolus

par

Romantische Weihnacht im Kölner Dom. Engelbert Humperdinck (1854-1921), Adolphe Adam (1803-1856), Gabriel Fauré (1845-1924), Alexandre Guilmant (1837-1911), François-Auguste Gevaert (1828-1908), Jean Huré (1877-1930), Hugo Wolf (1860-1903), Josef Gabriel Rheinberger (1839-1901), Peter Cornelius (1824-1874), Edvard Grieg (1843-1907), Max Reger (1873-1916). Theresa Nelles, soprano. Winfried Bönig, orgues de la Cathédrale de Cologne. Juillet 2020. Livret en allemand, anglais (paroles des chants en langue originale non traduite). TT 60’26. SACD Aeolus AE-11271.

Parmi les dates du calendrier liturgique qui stimulent les parutions discographiques, Noël tient une place de choix et voit chaque année fleurir quelques albums pour les fêtes de fin d’année. Parmi nos anthologies préférées pour les tuyaux : Noëls romantiques et modernes par René Oberson (Gallo), It’s Christmas time par Hakan Martinsson (Ifo), Christmas Organ Music par Johannes Geffert (Audite), Adeste Fideles par Albert Schönberger & Paul Windschüttl à la trompette (Ifo), Mille ans de Noëls par Eric Lebrun & Marie-Ange Leurent (Chanteloup). Chez Motette, Winfried Bönig avait déjà enregistré un Weihnachten im kölner Dom (2013) et, pour le même label, un récital à l’occasion de la « réorganisation » du Querhausorgel, un des deux orgues de la Cathédrale de Cologne dont il est titulaire depuis une vingtaine d’années.

Autant dire qu’il maîtrise tous les secrets de ces consoles sur lesquelles il nous propose ici un programme consacré à un florilège romantique autour de la Nativité, en compagnie de Theresa Nelles. La soprano allemande se distingue par son doux lyrisme (Der Stern von Betlehem d’Humperdinck, le Mariae Wiegenlied de Reger), son ardeur (le Maria tiré d’un oratorio de Rheinberger), et tamise le ton humble et ému qui convient à l’Ave Maria de Franck. La sélection pioche des pages essentiellement contemplatives, propices au recueillement (bouleversante Communion de Huré, au bord du seilence), pas toujours d’inspiration sacrée (la célèbre Pavane de Fauré). S’invitent toutefois quelques moments plus animés : le Christkind de Cornelius, la Gavotte tirée des Masques et bergamasques opus 112. Quelques vedettes du répertoire et vieux timbres chéris sont bien là : le Cantique d’Adam chanté dans sa version anglaise (O holy night), Entre le bœuf et l’âne gris arrangé par Gevaert, un offertoire de Guilmant sur l’air Joseph est bien marié, qui conclut en faisant gronder la nef rhénane. On peut supposer que la résultante 64’ du jeu de Vox balenae (une spécialité du facteur Klais) a été utilisé -dommage que le livret ne précise pas les registrations. On goûtera aussi la profondeur des anches dans l’offertoire de la plage 6.

L’excellente captation réalisée par Christoph Martin Frommen offre une perspective aussi réaliste qu’impressionnante, favorisant le sentiment d’espace (l’édifice abrite 43 mètres de hauteur sous voûte, comme la Cathédrale d’Amiens) et l’étagement des plans sonores. À tel point qu’on regrette que le menu n’inclue quelques autres démonstrations de panache -il restait un peu de place sur ce SACD d’une heure, qui en tout cas n’est pas avare de ferveur, et c’est bien ce qui importe pour un tel projet. Un subtil disque pour l’Avent, à poser au chevet de la crèche.

Son : 9,5 – Livret : 9 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9,5

Wallfahrt nach Kevelaer. Felix Weingartner (1863-1942) : Die Wallfahrt nach Kevlaar, Op. 12. Augustinus Franz Kropfreiter (1936-2003) : Drei geistliche Gesänge. Josef Gabriel Rheinberger (1839-1901) : Vier elegische Gesänge, Op. 128 ; Sechs religiöse Lieder, Op. 157. Peter Cornelius (1824-1874) : Vater Unser, neun geistliche Lieder, Op. 2. René Perler, baryton-basse. Romano Giefer, orgue de la Basilique Sainte-Marie de Kevelaer. Avril 2020. Livret en anglais, allemand. TT 72’35. Aeolus AE-10123

Kevelaer se situe à 70 km au nord-ouest de Düsseldorf, près de la frontière néerlandaise. Depuis une apparition de la Sainte Vierge à un marchand en 1641, cette ville rhénane est devenue un sanctuaire majeur de la dévotion mariale. Une Basilique y fut érigée en 1858, et promue papale en 1923. Jean-Paul II vint s’y recueillir en mai 1987. Le site de pèlerinage inspira à Heinrich Heine (1797-1856) une ballade, Die Wallfahrt nach Kevlaar, qui connut une trentaine de mises en musique. Parmi elles, celles de Carl Orff, accompagnée au piano, et d’Engelbert Humperdinck (1878), pour mezzo-soprano, ténor, chœur mixte et orchestre. L’année précédente le jeune Felix Weingartner, qui devint le célèbre maestro que l’on sait, composa sa version pour voix grave et orchestre, revue en 1926. Cette mouture révisée, que conserve la Bibliothèque de l’Université de Bâle, est la base du présent arrangement avec orgue.

Dans le sillage de cette œuvre enregistrée en son site de prédilection, ce CD extrapole un parcours de recueillement et « invite les auditeurs à s’embarquer pour un pèlerinage intérieur en musique ». Le programme couvre un siècle, à travers trois autres compositeurs germaniques. On ne sait si l’enregistrement en première mondiale des Drei geistliche Gesänge d’Augustinus Franz Kropfreiter, actif en Bavière et notamment à Saint Florian, méritait qu’on sorte de l’oubli ces chants sacrés. Mais force est d’avouer qu’ils soulèvent davantage d’intérêt que les Gesänge et Lieder de Rheinberger. Lesquels distillent une quiétude qui pourra susciter l’ennui, d’autant que les tempi (pourtant fidèles à la partition) s’éternisent. Cette langueur nécessiterait une voix longue qui n’est guère assumée par René Perler, parfois ainsi contraint à une émission instable, détimbrée et disgracieuse : l’Ave Maria poussif, la prière nocturne du Nachtgebet étirée jusqu’au délitement. Se sentira-t-on touché par cette prestation vocale certes chaleureuse ? Qu’elle se distinguât par son charme ou sa spiritualité, on le laisse à votre appréciation. Le Vater Unser sert de transition avec les élaborations sur le choral Notre Père où Peter Cornelius invente un poème sur chaque verset de prière. Une certaine variété s’invite enfin, tant par le débit que le relief (les grondements des anches dans le Vergib uns unsre Schuld). 

Les répétitions se déroulèrent juste avant le confinement imposé par le contexte sanitaire. Les deux interprètes assistèrent là aux derniers offices publics. Romano Giefer connaît bien les lieux pour y exercer depuis une dizaine d’années comme chef de chœur et à travers différents projets musicaux. L’orgue de la Basilique, un des plus imposants d’Europe (135 jeux dans son état actuel), dispense en arrière-plan une inépuisable variété de couleurs, sans que cet écrin et la magie du genius loci ne parviennent à maintenir l’attention sur un album à l’attrait plutôt ténu et circonstanciel. On le classera volontiers au rayon liturgique de sa discographie, parmi les anthologies propices à la méditation.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 4-7 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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