Nouvelles révélations sur la musique sacrée de Marenzio, et un lot d’inédits
Luca Marenzio (1553-1599) : Jubilate Deo a 8 (deux versions) ; Missa Jubilate a 8 ; Magnificat Sexti Toni a 8 ; Magnificat Octavi Toni a 8 (deux versions) ; Christe Jesu Benigne a 6. Cappella Musicale della Cattedrale di Vercelli, Don Denis Silano. Federico Fiorio, Stefano Guadagnini, cantus. Enrico Torre, Gianluigi Ghiringhelli, altus. Alberto Allegrezza, Raffaele Giordani, ténor. Davide Benetti, Enrico Bava, basse. Stefano Demicheli, orgue. Federico Bagnasco, violone. Livret en italien et anglais, sans les paroles chantées. Avril 2021. TT 59’59. Dynamic CDS7958
Auteur d’une thèse intitulée « Musiche di Luca Marenzio a Vercelli : testimoni inediti dall’Archivio Capitolare », Don Denis Silano a mené d’intenses recherches sur le compositeur natif de Coccaglio, en explorant les archives de la cathédrale piémontaise dont il est Maître de chapelle. Sa très érudite notice reproduite dans le CD, précisément sourcée et cotée, fait le point sur les œuvres au programme, leurs spécificités esthétiques, et leur part d’inédit en lien avec ce qu’on en connaissait, notamment au travers des précédentes éditions d’Oscar Mischiati.
Ce livret réétudie la chronologie des deux formes connues du motet Jubilate Deo : la version A, qu’on croyait la plus ancienne alors qu’elle est probablement postérieure d’une dizaine d’années à la version B, correspond à une émancipation spatiale liée au contexte d’exécution, laquelle préoccupa progressivement Marenzio jusqu’à son poste à la chapelle de la Cour polonaise de Sigismund III Vasa (1566-1632). Ce motet inspira deux messes parodiques : celle conservée à la Bibliothèque de Dresde et la mouture que nous entendons ici et qui, grâce à son exhumation issue du fonds de l’Archivio Capitolare, plaide à dissiper les doutes qui insécurisaient son attribution à Marenzio, selon l’avis de Don Denis Silano.
Lui aussi assignable à la dernière manière du compositeur, peu avant son ultime retour à Rome, le Magnificat Sexti Toni partage des similitudes avec la Messe et la version antérieure du motet mais s’en distingue par « l’autonomie verticale des chœurs et les fréquents échanges antiphoniques », se rattachant là encore aux recherches de spatialisation typiques de la tardive période de Cracovie et Varsovie. On identifie encore ces expérimentations dans les deux versions du Magnificat Octavi Toni, l’une plus longue d’un tiers, sans que la musicologie n’ait pu trancher laquelle préexiste à l’autre et s’il s’agit d’une réduction ou d’une amplification de l’original. On peut aussi s’interroger sur le Christe Jesu Benigne, contrafacture dérivée d’un madrigal qui en tout cas s’avère lui un des plus connus de Marenzio : Baci soavi e cari.
L’équipe vocale rassemblée sous la bannière de la Cathédrale de Vercelli se fait forte de dévoiler des partitions rares des XVe et XVIe siècles. Ici épaulé par orgue et violone, un petit collectif de chanteurs réduit l’édifice polyphonique à la portion congrue et ne semble pas obnubilé par la justesse. Cependant, cette prestation ardente, agile et surtout plantureuse s’avère particulièrement dynamique et séduisante, sculptée à plein relief par les micros. Le plaisir de l’écoute s’allie à celui de la découverte. Ce projet comme sa réalisation revigorent constamment l’intérêt pour ces pages qui trouvent, retrouvent une digne paternité, abondant avec sagacité et enthousiasme le portrait discographique d’une figure majeure de la Renaissance italienne.
Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9
Christophe Steyne