En marge de son intégrale des cantates, la Bach-Stiftung de Saint-Gall magnifie les quatre Missae Breves

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Messes en fa majeur, en la majeur, en sol mineur, en sol majeur BWV 233-236. Jessica Jans, Noëmi Sohn Nad, Lia Andres, soprano. Jan Börner, Alex Potter, altus. Werner Güra, ténor. Jonathan Sells, Daniel Perez, Matthias Helm, basse. Chœur et orchestre de la J.S. Bach-Stiftung, direction Rudolf Lutz. S022 et 2023. Livret en allemand et anglais (paroles des cantates en latin traduit en allemand). TT 55’30’’ + 53’05. J.S. Bach-Stiftung 

Bach à l’honneur au Namur Concert Hall

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Ce vendredi 13 juin a lieu le concert de clôture de la saison 2024-2025 du Grand Manège. Pour finir cette saison en beauté, qui d’autres que le Chœur de Chambre de Namur, Cappella Mediterranea et Leonardo García-Alarcón. En solistes, nous retrouvons la soprano Sophie Junker, le contre-ténor Christopher Lowrey, le ténor Valerio Contaldo, et la basse Andreas Wolf. Au programme de cette soirée, un concert entièrement dédié à Bach et trois de ses cantates de Leipzig : la Cantate BWV 46, la Cantate BWV 101 et la Cantate BWV 102. Le point commun entre ces trois cantates est qu’elles ont été composées par Bach pour le dixième dimanche après la Trinité. Ce programme créé à Namur sera proposé ensuite à l’Église St-Thomas de Leipzig, l'église où Bach jouait ces cantates.

Le concert débute avec une brève mais très belle introduction d’Alfia Bakieva. C’est une magnifique manière de rentrer dans l’ambiance du concert. Rentrons désormais dans le vif du sujet avec la Cantate BWV 46, Schauet loch und sehet, ob irgendein Schmerz sei (Regardez et voyez s'il est une douleur), datant de 1723. Le texte de cette cantate met en scène la terreur des habitants face au jugement de Dieu. La cantate commence avec un chœur d’une grande sensibilité avant qu’une fugue animée ne vienne contraster avec le début intimiste de cette cantate. Il s’ensuit un récitatif inspiré du ténor Valerio Contaldo, sublimé par l’accompagnement délicat des deux flûtes à bec. Après cela, place au brillant solo de trompette dialoguant à merveille avec le soliste. L’aria qui suit mêle, avec beaucoup de délicatesse, la voix du contre-ténor Christopher Lowrey avec les flûtes à bec et les hautbois de caccia.  Le choral final, Ô grand Dieu de fidélité, clôt avec grâce ces derniers instants de la cantate mélangeant douleur et espérance.

La première partie se poursuit avec la Cantate BWV 101, Nimm von uns, Herr, du treuer Gott (Écarte de nous, Seigneur, Dieu fidèle), datant de 1724. Contrairement aux autres cantates, le choral joue un rôle important, non pas au début et à la fin de l’œuvre, mais bien tout au long de celle-ci. Les récitatifs et arias, d’une grande beauté, intégrant logiquement des références au choral. Notons le sublime duo de la soprano Sophie Junker et du contre-ténor Christopher Lowrey, qui nous offrent un réel moment suspendu dans le temps. La cantate se termine avec un choral final exquis. Le Chœur de Chambre de Namur interprète de manière exquise le choral final tout en étant soutenu avec délicatesse par Cappella Mediterranea.

Pfingstfestspiele Baden-Baden : Boulez 100

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Baden-Baden entretient une longue relation avec Pierre Boulez, né à Montbrison, dans la Loire, en 1925 : invité par Heinrich Strobel, critique musical engagé pour la promotion des musiques nouvelles, directeur du département de musique de la SWR, à la base de la renaissance du Festival de Donaueschingen au début des années 1950, le compositeur français s’établit en 1959 dans la petite ville thermale au sud-ouest de la Forêt Noire (aujourd’hui un peu plus de 57.000 résidents, dont le plus haut taux de millionnaires par habitants du pays) et y est inhumé à sa mort en 2016 – cent ans après sa naissance, Baden-Baden fête l’héritage musical de son citoyen d’honneur (il a aussi une place à son nom) en lui consacrant une série de concerts (et d’événements) lors de son Festival de Pentecôte.

Une œuvre, deux chaises : changement de perspective

Je prends le temps de déposer ma valise dans l’avenant petit studio perché sur les hauteurs de la cité (boîte à clé, code wifi et taxe de séjour), avant de descendre à pied, à travers le parc (dont les poubelles débordantes témoignent de la fréquentation en cette fin de week-end), vers le Kurhaus Baden-Baden (vestiaire, ticket contre pièce, prendre carnet et stylo) et de découvrir la Bénazetsaal, somptueuse salle de bal surmontée d’une voûte en berceau et au portail de scène doré : les vingt-quatre musiciens de l’Ensemble Intercontemporain (fondé en 1976 à Paris par Pierre Boulez – et dirigé aujourd’hui par Pierre Bleuse, chef pétillant aux doigts frétillants) prennent place sur un carré central surélevé, dont chaque côté accueille plusieurs rangées de chaises destinées au public, alors que, placés sur au-delà de l’audience (et également surhaussés), deux pianistes entourent un cymbaliste et, en face, une harpiste sépare deux percussionnistes – six haut-parleurs complètent le dispositif, qui diffusent le son des solistes modulés par l’électronique de l’IRCAM (fondé à Paris en 1977 par Pierre Boulez).

Répons, œuvre majeure du compositeur de la décade 1980, connaît des versions successives (22 minutes à Donaueschingen en 1981, 35 minutes à Londres l’année suivante et 45 minutes à Turin en 1984) et plusieurs spin-offs (Dérive 1, Anthèmes I et II), qui exploitent certaines idées surgies durant la gestation de cette pièce de grande dimension. « Répons », un refrain chanté par le chœur en alternance avec le chant d’un soliste, est entendu ici comme l’antiphonie entre l’ensemble, les solistes et l’électronique : le son du premier, « unplugged », s’oppose à celui des solistes, retravaillé en temps réel ; les six humains s’opposent à l’informatique, qui outrepasse les possibilités des instruments ; l’orchestre, immobile, s’oppose au son électronique qui, spatialisé par les haut-parleurs, bouge dans l’espace de concert.

Le procédé qui consiste à répéter la pièce peut étonner : j’en ai eu à plusieurs reprises l’expérience (valorisante) à la Philharmonie Luxembourg, où l’on écoutait une première fois l’œuvre, candide et (quasi) vierge d’information, avant une seconde découverte qui succédait à un commentaire par le compositeur ou l’interprète. Ce soir, le « changement de perspective » se traduit par le déplacement de l’auditeur, lors de l’entracte et avant la deuxième exécution de la partition, pour rejoindre un siège, en symétrie de l’autre côté de la salle (de cet enclos acoustique – de solistes et de haut-parleurs – qui entoure le public) : une façon de percevoir l’impact de la spatialisation (un axe essentiel dans le rêve de Boulez de réinventer la modularité des salles de concert), de proposer un point de vue différent sur l’agencement scénique et les musiciens… et de doubler le plaisir de recevoir les sons fantasmagoriques d’une pièce-pivot de la musique mixte, alliance affriolante entre l’instrumentarium acoustique et les possibilités de l’électronique.

Des chœurs lettons pour des pages sacrées de Mendelssohn 

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Felix Mendelssohn (1809-1847) : Psaume 100 « Jauchzet dem Herrn, alle Welt » MWV B 45 ; Die Deutsche Liturgie, trois pièces MWV 57 ; Sechs Sprüche op. 79 ; Drei Psalmen op. 78 ; Zum Abendsegen MWV B 27.  Chœur de la Radio lettonne, direction Sigvards Kļava. 2024. Notice en anglais. Textes chantés reproduits, avec traduction anglaise. 54’ 37’’. Ondine ODE 1459-2.

Justin Taylor et William Christie aux clavecins, émouvant duo dans les pièces de Le Roux

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Conversation. Gaspard Le Roux (c1660-c1707) : Pieces de clavessin [sous forme de Suites à deux clavecins]. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Marche pour la Cérémonie des Turcs ; Passacaille d’Armide. Marin Marais (1656-1728) : Les Voix Humaines. François Couperin (1668-1733) : La Ménetou. William Christie, Justin Taylor, clavecins. Livret en français, anglais. Juin 2023. 68’45’’. Harmonia Mundi HAF 8905337

Le concert des trois premiers lauréat clôture en beauté le Concours Reine Elisabeth 2025 

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Le concert de clôture qui met officiellement un terme au Concours Reine Elisabeth et permet au public du Palais des Beaux-Arts d’entendre les trois premiers lauréats à l’issue des cinq semaines de cette exceptionnelle joute musicale a toujours quelque chose de particulier, en ce sens que l’excitation du Concours n’est pas encore entièrement retombée mais qu’il est à présent possible d’entendre les pianistes que le jury a distingués pour occuper ces places si enviées se produire dans ce qui est maintenant un concert et non plus une compétition.

Accueilli par une salle comble et en présence du couple royal, c’est Valère Burnon qui pénètre en premier sur la scène de la salle Henry Le Boeuf où ont déjà pris place l’Antwerp Symphony Orchestra et le chef Marc Albrecht. Comme on pouvait s’y attendre, le pianiste belge est accueilli par une véritable ovation de la part d’un public qui l’accueille en héros. Si le pianiste de Marche-en-Famenne avait fait forte impression dans le Concerto n°3 de Rachmaninov en finale, il choisit ici de se produire dans le plus intimiste et certainement bien plus profond Concerto n°4 de Beethoven. Ce qui frappe dès l’entrée du soliste -et il ne faut pas bien longtemps pour se rendre compte que c’est un vrai musicien qui est à l’oeuvre- c’est la qualité de sa sonorité. Tout au long de l’oeuvre, on apprécie également sa technique extrêmement propre (gammes et  trilles absolument impeccables), le naturel de son jeu, sa réelle musicalité et la délicatesse de son toucher. La cadence du premier mouvement est magistrale quoique très généreusement pédalée. Dans l’Andante con moto central, Valère Burnon se montre plus poétique que sévèrement classique, alors qu’il réussit à bien mettre en évidence l’élément ludique qui parcourt le Finale. On  pourra reprocher à ce musicien incontestablement doué une dynamique assez restreinte (et il est difficile de dire ici s’il s’agit d’un choix voulu ou d’un manque de puissance physique) et aussi de ne pas encore avoir tout à fait trouvé ce rare équilibre entre rigueur et électricité qui fait les grands beethovéniens. 

Le Roi d’Ys de Lalo, brillamment revisité, sept décennies après André Cluytens

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Édouard Lalo (1823-1892) : Le Roi d’Ys, opéra en trois actes. Judith van Wanroij (Rozenn), Kate Aldrich (Margared), Cyrille Dubois (Mylio), Jérôme Boutillier (Karnak), Nicolas Courjal (Le Roi), Christian Helmer (Jahel/Saint Corentin) ; Chœurs et Orchestre philharmonique national de Hongrie, direction György Vashegyi. 2024. Articles en français, avec traduction anglaise. Texte complet du livret, avec traduction anglaise. 102’ 20’’. Un livre-disque Bru Zane de deux CD BZ1060. 

Une expérience vocale et pianistique autour de champs magnétiques…

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Electric fields. Œuvres et arrangements de David Chalmin (° 1980), Barbara Hannigan (°1971) et Bryce Dessner (°1976) inspirés par Hildegarde von Bingen (c.1098-1179), Francesca Caccini (1587-c. 1640) et Barbara Strozzi (1619-1677). Barbara Hannigan, voix ; Katia et Marielle Labèque, pianos ; David Chalmin, synthétiseurs et électronique. 2023. Notice en anglais, en français et en allemand. 63’ 43’’. Alpha 980.

Der Rosenkavalier intense et dépouillé à Paris

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Au fil d’une longue et talentueuse carrière le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, s’est distingué autant par son originalité nourrie de culture et d’invention que par sa maîtrise de la scène. Au moment où il aborde la soixantaine ce n’est pas un hasard s’il jette son dévolu sur le 5e opéra de Richard Strauss lui aussi dans sa maturité quand il compose Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la rose) sur le livret d’ Hugo von Hofmannsthal qui traite -précisément- de la fuite du temps.  

L’intrigue se situe à l’époque de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche parmi lits à baldaquins et riches intérieurs. Noyée dans un appareil de dentelles et de crème chantilly, la satire sociologique confronte noblesse décadente, riches parvenus, serviteurs et profiteurs sur un ton décalé. 

Warlikowski choisit de faire éclater lieu et époque en un déferlement d’allusions au cinéma, à l’architecture (vestes hippies, cloches années 20, glamour hollywoodien, costumes trois pièces, perruques innombrables ou lunettes noires) à des situations insolites (studio dont la présence reste énigmatique). 

Ainsi la Maréchale d’abord nymphe saphique se métamorphose-t-elle en ange emplumé de noir puis en femme d’affaire sanglée dans un costume-pantalon écarlate. L’espace se hachure de grands rideaux vert vif, de rangées de sièges rouges sur fond rose foncé entre amarante et lilas . Cette luxuriance désoriente d’abord, puis opère  une simplification radicale. Genres, identités, hiérarchies perdent  toute signification abandonnant l’espace imaginaire au flux lyrique et à la réflexion sur le temps.

La valse y tient une place centrale et, en particulier, les plus belles pages de Johann Strauss dont nous célébrons cette année le bicentenaire de la naissance. Né 40 ans après lui, Richard Strauss (homonyme sans lien de parenté) déclara lui- même : « pour les valses du Chevalier à la rose comment n’aurais-je pas pensé au génie souriant de Vienne ?...Johann Strauss « est de tous les musiciens bénis des dieux, celui qui donne le plus de joie. J’admire en particulier chez lui son talent original. A une époque où tout, autour de lui, s’était plus tôt tourné vers ce qui est compliqué et intellectuel, cet homme au talent naturel était capable de créer à partir de tout et de rien… ». Influence dont personne ne parle, ni les dictionnaires musicaux, ni les commentaires musicologiques du Chevalier à la Rose.

Contrastes à Monte-Carlo

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Pour ce mois de juin, qui rime avec fin de saison, l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo a invité la légendaire Anne-Sophie Mutter en compagnie du violoncelliste Pablo Ferrandez, protégé et collaborateur de la grande violoniste depuis 2018.On les retrouve à Monaco pour une des plus belles œuvres de Brahms, le Double concerto pour violon et violoncelle.  Ce concerto est une œuvre de chambre à l'impact symphonique : une pièce construite sur le dialogue, au cœur de laquelle se trouve la plus belle expression d'amitié.

Mutter et Ferrandez, qui ont enregistré cette œuvre, en 2022 (Sony Classical), forment un excellent duo musical, uni par l'amitié, l'inspiration et le mentorat. Ils entretiennent une complémentarité exceptionnelle et font ressortir la joie et la turbulence de la conversation musicale de Brahms. Mutter et Ferrandez jouent avec la familiarité et l'aisance de partenaires musicaux de longue date. Équilibre, sensibilité et sens de l'aventure sont au rendez-vous. Mutter tire le meilleur parti de sa sonorité fine, chaude et dorée. Ferrandez fait preuve d'une maîtrise technique et musicale remarquable. Il fascine par son intonation profonde et ardente. Leur conversation musicale riche et variée est tantôt enflammée, tantôt douce. Un échange passionné se transforme en paisible unisson.  Le dernier mouvement se termine par une course effrénée d'une synchronicité impressionnante. Mutter possède un merveilleux violon Stradivarius, "l'Emiliani" de 1703 et  Ferrández joue sur un violoncelle Stradivarius "Archinto" de 1689 (prêt de la Stretton Society), le timbre des deux instruments réunis est somptueux.  L'OPMC sous la direction de Kazuki Yamada brille de mille feux. Le public réserve ensuite aux interprètes une ovation enthousiaste et de nombreux rappels.