Une expérience vocale et pianistique autour de champs magnétiques…

par

Electric fields. Œuvres et arrangements de David Chalmin (° 1980), Barbara Hannigan (°1971) et Bryce Dessner (°1976) inspirés par Hildegarde von Bingen (c.1098-1179), Francesca Caccini (1587-c. 1640) et Barbara Strozzi (1619-1677). Barbara Hannigan, voix ; Katia et Marielle Labèque, pianos ; David Chalmin, synthétiseurs et électronique. 2023. Notice en anglais, en français et en allemand. 63’ 43’’. Alpha 980.

Voici un album à la fois fascinant et envoûtant, qui ne manque pas d’originalité. L’idée est née dès 2015, a fait son chemin entre les divers interprètes en vue d’un spectacle pluridisciplinaire immersif, et a été créée en 2021 avec des images vidéo live de l’Anglaise Netia Jones, metteuse en scène et scénographe qui dirige un atelier multimédia de renommée internationale. La notice précise que la musique a tout récemment fini par occuper le devant de la scène, avec des lumières de l’éclairagiste Bernd Purkrabek, qui a beaucoup travaillé pour le Theater an der Wien. Ici, c’est la seule dimension sonore que l’on découvre. 

De quoi s’agit-il ? Une voix (Barbara Hannigan), et les pianos (Katia et Marielle Labèque) s’ajoutent aux expériences du compositeur et preneur de son français David Chalmin et du compositeur et guitariste nord-américain Bryce David Dessner qu’elles animent, chaque instant incluant un dispositif scénique live, qui permet de créer des structures nouvelles. Le tout est le résultat du travail d’un groupe d’amis qui s’apprécient et s’investissent au cœur de cette collaboration.

Une dimension spirituelle s’installe dès le début du programme et le conclut également : deux pages d’Hildegarde von Bingen, O Virga mediatrix et O vis aeternitatis, qui appellent à la méditation, voire à la contemplation, font l’objet d’un arrangement de David Chalmin, avec cordes et percussions synthétiques. Il y a de l’ivresse dans cette atmosphère mystique, portée par la voix de Barbara Hannigan, à la manière d’un ruban magique aux dimensions éthérées. Cette sensation persiste dans un autre arrangement de Chalmin, sur un texte de Lingua ignota, de la même abbesse du Moyen-Âge, les claviers des sœurs Labèque venant s’y mêler, alors que Bryce Dessner s’empare d’un autre texte du même type, O orzchis Ecclesia, puis d’un texte latin de la moniale, 0 nobilissima viriditas. Tout baigne dans un climat où le mystère le dispute à l’irréel, offrant ainsi une écoute aux effets grisants. La référence à Hildegarde von Bingen est ici majoritaire et place le projet sous une lumière qui éclaire sa personnalité multiple qui dépasse la musique et est devenue mythique.

On s’adapte aisément, parfois même avec une sorte de volupté, à cette forme d’ivresse, y compris lors que Barbara Strozzi, qui vient du temps du baroque vénitien, sert de base à une improvisation entre protagonistes autour d’un extrait de son Che si può fare ? de 1654, ou lorsque Barbara Hannigan, en duo avec Chalmin, se fait elle-même compositrice sur des fragments de Francesca Caccini, qui fut sans doute, dans la Florence du XVIIe siècle, la première femme à composer un opéra.

Les mots ne peuvent tout à fait décrire cette expérience sonore originale, qu’il convient d’aborder sans a priori. Le travail électronique subjugue, apporte un soutien cohérent au chant, investi et souvent lumineux, de Barbara Hannigan. Tout cela sort en tout cas de l’ordinaire et mérite que l’on s’y attarde pour découvrir cet univers de « champs magnétiques » insolite, ciselé avec soin. En raison de la spécificité du projet, nous lui accordons une note globale.

Note globale : 9

Jean Lacroix 

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