Pages orchestrales estoniennes de notre temps avec Paavo Järvi

par

Estonian Premieres. Tõnu Kõrvits (°1969) : To the Moonlight. Ülo Krigul (°1978) : Chordae ; The Bow. Helena Tulve (°1972) : L’Ombre derrière toi. Tauno Aints (°1975) : Ouverture Estonia. Lepo Sumera (1950-2000) : Olympic Music I. Estonian Festival Orchestra, direction Paavo Järvi. 2012/13/1420/21. Notice en anglais, en français et en allemand. 58.35. Alpha 863.

Fondé en 2011 par Paavo Järvi (°1962) qui est né à Tallinn, l’Estonian Festival Orchestra compte déjà à son actif, pour le label Alpha, un album Chostakovitch en 2018 (Symphonie n° 6 et Sinfonietta), et, il y a deux ans, un disque consacré à Mythos, la neuvième symphonie d’Erkki-Sven Tüür et à d’autres pages de ce créateur (article d’Olivier Vrins du 7 août 2020). Voici, chez le même éditeur, un troisième témoignage de la qualité de cette phalange dont la critique internationale a déjà souligné la valeur. Il s’agit cette fois d’un panorama de pages symphoniques de cinq compositeurs estoniens, nés entre 1950 et 1975.

Le programme débute par une partition poétique de Tõnu Kõrvits dont l’abondant catalogue (chez Ondine, ECM, BIS…) témoigne de l’intérêt pour les paysages et la nature, ainsi que pour les traditions nordiques, profanes et religieuses. Le langage raffiné et distingué de ce compositeur trouve dans To the Moonlight, partition en trois mouvements de 2020 dédiée à Paavo Järvi, un beau sujet de méditation orchestrale colorée, avec usage des techniques du blues, sous l’inspiration d’une chanson de Jimmy Webb, The Moon is a Harsh Mistress, ainsi que le précise l’auteure de la notice, Nele-Eva Steinfield. Deux œuvres de Ülo Krigul, qui s’est notamment formé à Vienne, sont à l’affiche. Polyvalent, ce créateur a composé aussi pour le théâtre et le cinéma, et est connu dans les milieux de l’élecroacoustique et du jazz ; il est arrangeur pour des ensembles spécialisés. Chordae (2013), page aux contrastes marqués, avec des rythmes qui mènent parfois jusqu’à la violence, et surtout The Bow (2021), dédiés chaque fois à Järvi, témoignent d’un art diversifié. La dernière œuvre, très fluctuante et ardemment orchestrée, joue sur les significations du mot « bow » qui se traduit aussi bien par l’arc, l’archet, le nœud, la proue ou l’étrave. La notice précise que Krigul la voit comme un salut reconnaissant aux musiciens qui réussissent à faire de la musique malgré les temps difficiles que nous vivons.  

L’Ombre derrière toi de Helena Tulve est, comme d’autres partitions de cette compositrice, ancrée sur la recherche de la sonorité. Seule élève d’Erkki-Sven Tüür pour la composition, Tulve est attirée par le chant grégorien, la musique orientale et la musique spectrale française. Dans cette partition mystérieuse et intimiste qui date de 2011, les violes de gambe initiales ont fait place à un alto et à deux violoncelles. Le titre est inspiré d’un proverbe japonais : « Regarde le soleil, et l’ombre tombera derrière toi. » Le climat global s’inscrit dans un contexte feutré et méditatif, voire contemplatif, qui fait appel aux ressources de l’âme, dans un tissu orchestral très concentré. Changement de climat avec Estonia (2014) de Tauno Aints, élève de Lepo Sumera pour la composition. Le caractère épique de cette ouverture fait suite à une commande qui lui a été faite d’écrire une pièce pour chœurs d’enfants sur le thème de la patrie. Le déploiement des forces orchestrales alterne avec des évocations poétiques d’une belle inspiration. Il faut voir dans cette composition un hommage à ce pays des bords de la Baltique, qui se révèle musicalement riche. 

Lepo Sumera n’avait que cinquante ans à sa disparition en 2000. Il avait étudié le chant avec Veljo Tormis (1930-2017), le maître estonien dans ce domaine, et la composition avec Heino Eller (1887-1970). Sumera, dont les six remarquables symphonies dominent le catalogue (parues chez BIS), s’est très vite intéressé à la musique élecroacoustique dont il est un pionnier, ainsi qu’à la création par ordinateur. On découvre ici sa Musique olympique I de 1980, destinée à la cérémonie d’ouverture pour les compétitions de régates à Tallinn, à l’occasion des Jeux Olympiques de 1980. Une œuvre de circonstance, savamment construite, qui ne néglige pas la grandeur et la puissance.

Cet intéressant panorama de la musique estonienne récente a été enregistré entre 2012 et 2021. Il permet de constater, grâce à une interprétation soignée, la vitalité qui anime ces créateurs dans une ligne personnalisée et originale, qui rend leur art immédiatement accessible.

Son : 9  Notice : 8,5  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix  



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