Pastorales baroques sur un fringant orgue polonais
Andreas Schade (1674 – 17??), Cajus Schmedecke (ca. 1555–1611), Petrus de Drusina (1560-1611), Jan Pietersson Sweelinck (1562-1621), Bernardo Pasquini (1637-1710), Johann Kaspar Kerll (1627-1693), Domenico Zipoli (1688-1726), Jakub Valerian Paus (ca. 1705-1750), Josef Seger (1716-1782), František Xaver Brixi (1732-1771), Jan Křtitel Kuchař (1751-1829), Dietrich Buxtehude (1637-1707), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Tabulatura Warszawska (ca. 1680) et anonymes. Andrzej Mikołaj Szadejko, orgue de l'église de la Sainte Trinité de Gdańsk (Pologne). Août 2019. Livret en polonais/anglais. TT 72'35. Ars Sonora. ARSO-CD-144
L’instrument original remonterait à 1616-1618. On l’a longtemps attribué à Merten Friese quoiqu’à l’époque ce facteur était encore bien jeune apprenti. Cet orgue fut complété, modifié à plusieurs reprises durant les XVIIème et XVIIIème siècles. Démantelé pendant la Seconde Guerre mondiale puis stocké dans les combles de l’église. Le buffet maniériste richement sculpté et orné héberge aujourd’hui cinq plans sonores (deux pour la pédale en sus des trois claviers). La construction de la tuyauterie fut confiée aux ateliers dresdois Wegscheider en 2008-2018, soit précisément quatre cents ans après les premiers travaux, et six cent ans après une bulle du Pape Martin V (9 octobre 1419) autorisant l’ordre franciscain à implanter un monastère à Gdańsk.
Voilà donc un double-anniversaire auquel nous convie ce récital capté en août 2019. Le livret reste hélas muet sur le programme déployé durant une heure et quart, et structuré sous le titre « Puer Natus ». L’auditeur aurait aimé apprendre comment a été élaborée la sélection des œuvres, et comment l’interprète conçoit ce parcours. Aussi être renseigné sur des compositeurs aussi marginaux que Josef Seger ou Cajus Schmedecke. Ou sur certains recueils telle la Tabulatura Warszawska à laquelle Rostislaw Wygranienko avait par ailleurs consacré un plein album, chez le label Acte Préalable. En l’état, cette anthologie nous promène aux quatre coins de l’Europe (à la notable exception de la France et l’Angleterre), depuis la Renaissance (tabulatures de Jan z Lublina) jusqu’au préromantisme (Jan Křtitel Kuchař), tout en restant centrée sur la période baroque.
À vrai dire, le mélomane n’est pas en manque de disques consacrés à la Nativité, qui sont légion et fleurissent chaque fin d’année avant les fêtes. La particularité de celui-ci est de se focaliser sur un genre, celui de la « Pastorale », dont il livre un florilège accueillant quelques notoires occurrences : Pasquini (sic, et non Pasqiuni, comme indique erronément la couverture), Zipoli, et bien sûr le BWV 590 de Bach. Des pages attendues, comme celles de Bernardo Storace, ou la Toccata sexta de Muffat, ne figurent pas au menu où l’on accède en revanche à de plus rares contributions de Schade, Brixi, Paus et Kuchař. Sans toutefois épuiser un sujet fort fécond : on trouve les partitions d’une bonne centaine de Pastorales éditées en deux volumes chez Carus Verlag ! Le Puer nobis nascitur de Sweelinck et une poignée de chorals de Buxtehude sont aussi de la partie, et compensent (si l’on ose dire !) d’autres opus de moindre talent.
L’interprétation répond à l’ambition de chaque pièce : les plus exigeantes (toute proportion gardée) et aussi celles qui requièrent moins de virtuosité que de goût -la technique de ce populaire filon accessible aux plus humbles organistes de paroisses reste intrinsèquement à l’abri des difficultés. À voir les vidéos qu’Ars Sonora a aimablement concédées sur youtube, Andrzej Mikołaj Szadejko (natif de la cité et investi dans plusieurs projets culturels locaux, tel Musica Baltica) prend beaucoup de plaisir à animer ces vignettes et à s’en émouvoir. Et il sait faire partager ce plaisir à l’auditeur, qui sera d’autant plus réceptif qu’il adhère à la vocation de ces décors de crèche en musique, cela dans une rhétorique assez codifiée voire limitée. À l’instar de la voisine tradition du « Noël » illustrée par Daquin ou Dandrieu, les enjeux de l’exécution relèvent plutôt du style, et du caractère de l’instrument. En l’occurrence, ce fleuron polonais de 45 jeux possède les ressources adéquates, registrées en toute variété, et détaillées dans le fascicule : les Vox humane et Hautbois propices aux musettes, un clavier de Brustwerk (avec régale) permettant les effets d’écho, les clochettes du Cimbelstern, bref toute la panoplie associée à l’imagerie rustique de l’Annonce aux bergers. Certes l’esthétique sonore reste tributaire de la facture septentrionale (on pense à Stellwagen), avec Principaux et Flûtes bien trempées, des anches qui gratouillent. De fait les pièces plus enclines au classicisme en ressortent avec un pittoresque qu’on goûtera comme une friandise plutôt que comme modèle. Ainsi la Pastorella de Bach qui couronne l’ensemble, avec ses mélanges en creux, son obnubilante pédale de l’Untersatz 32’, peut-être un peu trop profonde pour se justifier pleinement ici.
Ce type de programme, qui enfile des pièces littéralement adorables, mais guère transcendantes, pourra lasser si on oublie le contexte, celui de l’écrin paisible et naïf qui sied au berceau de l’Enfant Jésus. Dans ce cadre, ce CD prodiguera aux oreilles attendries toute l’émotion et le charme qu’on saurait concevoir. Lesquels peuvent aussi ne constituer qu’un prétexte à se laisser griser par la découverte de ces tuyaux typés et communicatifs, très généreusement captés par un label habitué du répertoire organistique.
Christophe Steyne
Son : 9 - Livret : 8 - Répertoire : 7 - Interprétation : 8