Philhar’Intime : une conviviale Truite de Schubert à Radio-France

par

Ce concert faisait partie de la série « Philhar’Intime », qui permet au public d’entendre les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France (« Philhar’ », donc, pour... les intimes) en musique de chambre. Pour la circonstance, ils étaient quatre, représentant les quatre instruments à cordes de l’orchestre : Amandine Ley au violon, Clémence Dupuy à l’alto, Nicolas Saint-Yves au violoncelle, et Yann Dubost à la contrebasse. Notons que, si le dernier est l’un des solistes de l’orchestre, premier solo du pupitre de contrebasse, les trois premiers jouent « dans le rang », sans être, le plus souvent, exposés devant leurs collègues. Même si l’on peut constater, en effet, que Yann Dubost fait preuve d’une remarquable aisance, nous pouvons nous réjouir de ce que de « simples » tuttistes de notre cher Philhar’ jouent à ce si haut niveau !

Le concert commençait par deux œuvres pour trio à cordes. 

Si le nom de Michael Haydn est encore connu de nos jours, c’est principalement, d’une part, grâce à son frère aîné Joseph ; et d’autre part grâce à son amitié avec Mozart (qui n’a pas hésité, alors que Michael n’avait pu livrer à temps une commande de six duos pour violon et alto, à écrire les deux derniers et à les laisser présenter par son ami au commanditaire comme s’ils étaient de sa plume !). Il nous laisse une musique religieuse qui ne manque pas de grandeur (et notamment un Requiem, qui a servi en partie de modèle à Mozart pour le sien).

Il nous était proposé un Divertimento pour alto, violoncelle et contrebasse (en mi bémol majeur, MH 9 – et non celui qui était indiqué sur le programme de salle, qui du reste était avec violon et non avec alto), dont l’originalité tient surtout en cette formation quelque peu inusuelle. Il commence par un Adagio con Variazioni qui, par définition, devrait apporter de la variété ; son manque d’inspiration peine cependant à nous tenir en haleine, notamment à cause des reprises. Toutes observées par les interprètes, elles induisent une certaine monotonie, même s’ils y proposent quelques ornements. Suit un Menuetto, agréablement écrit, et tout aussi agréablement joué. Et, enfin, un Presto particulièrement brillant et volubile, dans lequel les musiciens du Philhar’ nous offrent quelques très jolis moments.

La suite du concert était consacrée à Schubert, avec tout d'abord son Trio à cordes en un mouvement (en si bémol majeur, D. 471), première tentative du compositeur, inachevée, avant une deuxième, quelques années plus tard, qui elle sera aboutie (dans tous les sens du terme). Sans doute pas encore du grand Schubert, mais déjà pleine de tout le charme et la tendresse qui rendent ce compositeur toujours très attachant.

L’interprétation en était tout à fait sensible, avec un parti pris très classique, sans beaucoup de contrastes. Nous écoutons cela avec plaisir, comme une très jolie musique de salon.

Venait le morceau de choix : le célèbre Quintette pour piano et cordes de Schubert (en la majeur, D. 667), dit « La Truite » (à cause de la réutilisation d’un Lied portant ce nom comme thème du quatrième mouvement). Aux côtés des quatre protagonistes déjà entendus, le pianiste argentin Nelson Goerner, habitué de Radio France comme soliste avec orchestre (ces dernières années, dans Beethoven Brahms et Rachmaninov). 

L’Allegro vivace commence un peu prudemment, mais les musiciens se libèrent à la reprise. Nelson Goerner se montre un authentique chambriste, très à l’écoute de ses partenaires, et n’imposant pas sa personnalité musicale, pourtant éclatante. Les passages « symphoniques » manquent malgré tout légèrement d’ampleur. L’Andante est tout en délicatesse, mais sans doute encore un peu sage. Si l’ensemble de l’ouvrage est plutôt léger, et si même ce mouvement lent est encore loin des grandes pages douloureuses des dernières années de Schubert, on y voit cependant déjà poindre le voyageur (« Wanderer ») tourmenté. Cela n’apparaît pas beaucoup dans cette interprétation, même si le pianiste pousse ses partenaires dans de belles nuances claires-obscures. Il y a dans le Scherzo, pris dans un tempo tonifiant, une belle énergie, qui malheureusement retombe par moments. Tout y est fort bien réalisé, mais un peu prévisible.

C’est enfin le fameux Tema e variazioni. Il est l’occasion pour chaque musicien de montrer ses qualités instrumentales, et ils s’en acquittent tous plus qu’honorablement ! Le thème exposé au violon est tout en grâce. Quand le piano s’en empare, il frétille à souhait. Est-ce pour ne pas gêner la violoniste, qui a une partie extrêmement difficile à ce moment, que l’altiste le joue – avec beaucoup de sensibilité du reste – légèrement en retrait ? Quand c’est le tour de la contrebasse, le piano déchaîné lui vole quelque peu la vedette. C’est alors le passage dramatique en mineur, qui introduit le thème au violoncelle, particulièrement séducteur. Et la surprenante fin de ce mouvement, Allegretto, que nos musiciens rendent guillerette à souhait. Quant au Finale, il ne lui manque pas grand-chose pour être totalement convaincant. Difficile de reprocher quoi que soit : toutes les intentions musicales y sont, ainsi que les attaques, le caractère... Tout juste manque-t-il un petit zeste de folie.

N’empêche : cette « Truite » avait bien des attraits. Et le public, qui était resté assez distant après les deux premières pièces (sans doute beaucoup étaient venus surtout pour cette œuvre, et pour Nelson Goerner), manifeste enfin son enthousiasme. Il est récompensé par un bis : la dernière minute du mouvement à variations, précisément à partir de l’Allegretto. Était-ce volontaire, pour un effet humoristique ? Le piano n’a rejoint ses partenaires qu’en chemin, pour une conclusion vraiment débridée. Tout le monde peut alors repartir de bonne humeur. Cela eût certainement enchanté le très convivial Schubert !

Paris, Auditorium de Radio France, 15 juin 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques : DR

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.