Pierre Boulez, pourquoi il nous manque tant 

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Cela fait déjà cinq ans que Pierre Boulez nous a quittés et, plus que jamais, il nous manque terriblement. Tant pour la justesse de sa vision, la précision de ses arguments, que pour le modèle créatif qu’il défendait : celui de la défense et de la vulgarisation d’une modernité universelle au service de l’esprit des temps contemporains. Comprendre les piliers de la modernité et en tirer la sève pour continuer à avancer. Bien sûr, Boulez pouvait se montrer parfois unilatéral ou irritant, mais une telle probité au service de l’universalisme musical semble désormais inatteignable. 

Si la médiation se veut l’alpha et l’oméga des institutions culturelles, Boulez en faisait l’axe central de son métier de musicien. Rappelons-nous le temps qu’il passait à parler aux publics, et souvent aux plus jeunes, pour leur présenter, sans démagogie, les grands chefs d'œuvre. L’auteur de ces lignes se souvient d’une soirée réservée aux moins de 30 ans où le Maestro expliquait le Sacre du Printemps au pupitre du London Symphony Orchestra devant un parterre bruxellois conquis et fasciné. Rappelons aussi son imagination quand il imposa au public de New York ses Rug Concerts : des évènements où le public bigarré et cosmopolite de New York, assis par terre (les fauteuils étaient enlevés), découvrait les grandes œuvres de Stravinsky ou de Webern et les pièces contemporaines de Crumb ou Carter mises en perspectives avec Bach, Haydn, Purcell, Mozart ou Schumann. Ces concerts drainant un public novice loin de l'académisme des soirées d’abonnements restent, plus de 60 ans plus tard, des modèles absolus ! 

Certains polémistes en mal de notoriété s’en prennent à la musique classique et lui reprochent le manque de diversités en tous genres. Boulez est encore une source d'inspiration. N'a-t-il pas associé ses propres compositions à de la musique traditionnelle d’Asie ? L’auteur de ces lignes se souvient aussi d’un concert autour des rituels qui associait, pour l’inauguration de la Cité de la Musique à Paris, un orchestre traditionnel coréen, les solistes de l'EIC et certains des meilleurs éléments du Conservatoire de Paris autour de son Rituel à la mémoire de Bruno Maderna. Et sa collaboration avec Frank Zappa n’est-elle pas un modèle et une source d’inspiration pour dépasser les frontières entre les genres et les styles ? Mais Zappa était remis en contexte et programmé aux côtés des exigeants Ives, Ruggles et Carter. 

Son légendaire “Il faut brûler les maisons d’opéras” est au final bien d’actualité ! Non pas qu’il soit nécessaire de brûler métaphoriquement toutes les maisons d’opéras, mais la plupart des grandes institutions sont devenues prisonnières d’une surenchère de coûts qui débouche sur un nouvel académisme vendu par un marketing douteux. Certes, cet académisme est différent sur le fond de celui que combattait Boulez, mais sur la forme il est une sclérose artistique et intellectuelle. Boulez pestait contre le conservatisme et la tiédeur des programmations. Que dirait-il aujourd'hui ? Le spectre des compositeurs programmés s’est globalement encore réduit depuis sa disparition. Schoenberg, Ives, Varèse, Berg ou Webern sont-ils régulièrement à l’affiche en dehors de certaines pièces de jeunesse qui regardaient vers le passé plus que vers l'avant-garde ? 

En 2021, il faut relire Boulez et s'en inspirer ! Pierre Boulez a pu vivre dans une époque bénie, celle d’une foi absolue en l’avenir, celle d’une volonté d’aller de l’avant et de construire un monde nouveau, celle de la vulgarisation de la musique avec le développement des moyens techniques, celle où l’esprit du temps était au partage d’une culture que l’on considère désormais comme trop souvent élitiste. Une question qu’il est légitime de poser tant elle traverse notre époque : Pierre Boulez pourrait-il débuter une telle carrière en 2021 ? Trop connoté vieille Europe, trop intellectuel, trop Top Down, pas assez co-construit, composant une musique que l’on considérerait comme hermétique….Poser la question c’est presque y répondre ! Où va-t-on ?  

Pierre-Jean Tribot        

Crédits photographiques : Pierre-Jean Tribot

 

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