Récital à l’orée du Baroque en Italie : l’éveil des passions ?

par

Discovery of Passion. Dorothee Oberlinger, flûtes à bec. Dmitry Sinkovsky, violon, contreténor. Ensemble 1700. Octobre 2019. Livret en anglais, allemand. TT 75’12. DHM 19439711162

« Découverte de la passion » : le titre de l’album nous situe en 1600 dans quelques grands foyers italiens, principalement au nord (Venise, Milan, Bologne) mais aussi la capitale romaine. Un laboratoire de métamorphose entre les derniers feux de la Renaissance et les débuts du Baroque. Puisque le livret mentionne le Traité des Passions de l’âme (1649) de René Descartes, et pour éviter toute incompréhension, précisons qu’ici le terme de « passion » ne se limite pas à l’élan amoureux, mais englobe mutatis mutandis ce que l’on nommerait plutôt aujourd’hui les émotions.

Cet époque de transition brosse un spectre élargi de ces émotions, et ne se contente pas de les décrire ou les évoquer : l’enjeu est bien de les communiquer à l’auditeur. Le programme a pioché dans un vaste vivier dont la chronologie s’étend de 1585 (Ricercata Terza de Giovanni Bassano) à 1657 (Toccata Settima de Michalangelo Rossi) : ces pièces jouées respectivement à la flûte à bec et au clavecin. Car l’équipe Ensemble 1700 a multiplié les configurations : un simple luth (diminutions sur Ancor che col partire de Giovanni Spadi ; Capriccio cromatico de Pietro Paolo Melli), un violoncelle diapré de continuo (fantomatique Passa Galli de Giovanni Battista Vitali), un petit consort où batifolent flûte et violon (Sonata prima a due soprani de Dario Castello, Aria Quinta sopra La Bergamasca de Marco Uccellini).

Outre un arrangement pour flûte & continuo de Hor che’l ciel (Canti guerrieri et amorosi), l’emblématique figure de Claudio Monteverdi est représentée par l’aria E pur’io torno qui du Couronnement de Poppée et le madrigal Si dolce è’l tormento, chantés par Dmitry Sinkovsky qui s’illustre aussi dans le Folle è ben che si crede de Tarquinio Merula. Duquel nous entendons aussi la fantasque Ciaconna.

Bref un récital copieux, riche, intelligent. Abordé avec toute la virtuosité, la délicatesse requises. Dans les traits acrobatiques comme dans la vocalité, Dorothee Oberlinger se montre évidemment impeccable. Le violon de Dmitry Sinkovsky (un Francesco Ruggieri de 1675) rayonne. La cohésion avec le continuo est exemplaire. Et pourtant, malgré tant de subtilité, d’irréprochables qualités techniques, le disque ne diffuse pas l’enthousiasme, les épanchements qu’on oserait attendre d’un tel répertoire. Dans la perspective que leur réserve la prise de son, les instruments solistes apparaissent graciles. Mais aussi, dans l’ensemble, l’interprétation semble prude, et soulève moins l’empathie que l’admiration. Comment saturer la palette de sentiments brigués par ces pages quand elles sont abordées trop timidement ou fraichement ? Un CD qui déploie des trésors de finesse, mais qui peut laisser sur sa faim. Pas le grand bain des passions, donc, mais un éminent distillat rhétorique qu’on saura apprécier à sa juste valeur.

Son : 8 – Livret : 10 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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