Réédition des quatre symphonies de Schumann par Roger Norrington à Stuttgart

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Robert Schumann (1810-1856) : Symphonie no 1 en si bémol majeur Op. 38 ; Symphonie no 2 en ut majeur Op. 61 : Symphonie no 3 en mi bémol majeur Op. 97 ; Symphonie no 4 en ré mineur opus 120. Roger Norrington, Orchestre de la SWR de Stuttgart. Septembre 2004. Pas de livret, mais bref texte en allemand et anglais sur les volets du digipack. Deux CDs 72’02 + 70’36. SWR>>Music SWR19530CD

Roger Norrington a pris sa retraite voilà quelques mois. Artisan du HIP appliqué aux diverses époques dont le romantisme, il commença à diffuser ses vues sur Beethoven en 1987, fort de deux décennies de direction chorale tel qu’en atteste sa remarquable discographie avec le Schütz Choir amorcée à la fin des années 1960. Suivirent la Fantastique de Berlioz, des symphonies de Schubert, Mendelssohn, les quatre de Brahms, des ouvertures de Rossini, des pages de Wagner, Ma Patrie de Smetana… tout cela enregistré avec les London Classical Players pour Emi/Virgin. À l’orée du millénaire, son transfuge vers le label Hänssler élongea encore le répertoire, avec le Radio-Sinfonieorchester Stuttgart : Tchaïkovski, Mahler, Elgar…

Un album Emi de 1990 groupait les symphonies 3 & 4 (version révisée) de Schumann, intéressant pour ses tempi rafraichis, sa diction pensée (staccato / non staccato), ses dynamiques nettes quoiqu’artificielles. En revanche, un live inconsistant de 1999 (Hänssler) incluant la deuxième symphonie accusait la déception. La même déception qui grève l’écoute des sessions rééditées ici. Dans la concert introduction en plage 9, le chef anglais a beau invoquer la polarité Eusebius-Florestan qui anime l’opus 61, sa prestation demeure désespérément plate et linéaire, dénuée de contraste et d’accident, même dans le Scherzo (malgré une conclusion enfin un tant soit peu brusquée). La conduite anodine, lénifiante, vitrifiée de l’Adagio ignore l’épithète espressivo de ce palpitant phare du romantisme : le clair-obscur alla Rembrandt devient, comme dirait Baudelaire, un « triste hôpital tout rempli de murmures ». L’élan du Finale laisse vibrer les voix médianes, mais l’éloquence, le geste dramatique restent le talon d’Achille de cette exploration superficielle, au relief escamoté.

L’allocution en plage 10 rappelle l’unité cyclique de l’opus 120 centré autour de Clara et déclare une prédilection pour la version originale de 1841, que Nikolaus Harnoncourt (Teldec, 1994), Roy Goodman (RCA, 1994) et John Eliot Gardiner (DG, 1997) avaient eux-aussi suivie. Ainsi que Kurt Masur capté en avril 1992 (Teldec) ; la notice de Siegmar Keil cernait quelques spécificités de cette mouture primitive : « une structure syntaxique au total plus transparente, avec des lignes mélodiques en partie plus chantantes, une disposition formelle plus ramassée, une instrumentation plus subtile dans les détails ». Avec Norrington, l’Allegro di molto séduit par sa fine nervure, sa motorisation, mais déçoit dans une Romanza pressée et sans parfum, puis dans un Scherzo trop badin. Dans Rasch, Roland Barthes écrivait : « ce qu'il faut, c'est que ça batte à l'intérieur du corps, contre la tempe, dans le sexe, dans le ventre, contre la peau intérieure, à même tout cet émotif sensuel que l'on appelle, à la fois par métonymie et par antiphrase, le cœur » ; on en est loin ici. L’agitation reste épidermique, et la transition vers l’Allegro vivace semble se faufiler plutôt que se dilater. Inutile d’espérer la légendaire expansion de Wilhelm Furtwängler à Berlin (DG). Dans le genre dégraissé et décomplexé, cette approche peut néanmoins convaincre et tisse d’intéressants liens avec l’esthétique mendelssohnienne.

Pour le vernal opus 38, les paroles en plage 10 évoquent une écriture d’aquarelliste, ce que traduisent des contours estompés, un discours tamponné, des articulations spongieuses. Dommage pour la netteté car Roger Norrington manifeste dans l’Allegro molto vivace un vivifiant entrain à germination accélérée : un printemps délicatement tégumenté, et doté d’une capacité de poussée, de relance qu’on ne connait pas toujours au maestro anglais. Cette favorable impression est hélas ruinée par ce Larghetto parcouru au pas de course : y goûtera-t-on des teintes amères et cireuses qui plutôt que nous promener dans un bucolique jardin en fleur paraissent ruminer une mauvaise digestion ? Le Scherzo connait d’étranges stagnations, et le Finale déploie une patiente et sérieuse architecture qui mériterait davantage de fantaisie. Parmi les jalons marquants de la discographie, on peut rester fidèle à Otto Klemperer à Londres (Emi) ou Charles Munch à Boston (RCA).

Le Lebhaft de la Rhénane déboule avec une indéniable ampleur mais la narration tend à se neutraliser sous une direction frileuse qui refroidit le pathos et rechigne aux méandres qui devraient structurer l’expressivité plutôt que vectoriser la trame. Le Sehr mässig fignolé mais anguleux tend aussi à viser la tangente. En revanche, le Nicht Schnell ne trace aucune ligne, et s’enlise dans l’indifférence. Les cors de Stuttgart ne sont pas très audibles dans le majestueux Feierlich qui absorbe toute lumière dans un tomenteux écrin : inhabituel et fascinant, une bonne surprise pour les amateurs d’ambiances interlopes. À bisser ! Le pont cuivré brille aussi d’un étrange éclat, vers un Finale d’une élocution ouvragée. Preuve que le style interprétatif associé à ce chef contesté sait incruster des visions saisissantes au sein d’un propos balisé.

Pour l’intégrale, parmi les versions traditionalistes qui ont marqué leur temps, on n’oubliera pas le muscle de Georg Solti à Vienne (Decca), le brio de Leonard Bernstein à New York (CBS), la fluidité de Wolfgang Sawallisch à Dresde (Emi). Et pour le zeste HIP sur instruments modernes, les cycles gravés par David Zinman (Arte Nova) et John Eliot Gardiner (LSO) restent prioritaires devant un Norrington inégalement inspiré : de la banalité frigide à quelques (rares) éclairs de révélation transcendante. Les mélomanes curieux d’un tel compromis pourront risquer une oreille sur ce repackaging économique.

Son : 8,5 – Livret : 3 – Répertoire : 10 – Interprétation : 3 (opus 61) à 7,5 (opus 97)

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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