Réédition exhaustive des gravures du violoniste Alfredo Campoli

par

Alfredo Campoli - The Bel Canto Violin. Enregistrements Decca et L’Oiseau-Lyre (1931-1978). Édition 2024. Livret en anglais. 1 coffret 21 CD Decca « Eloquence » 4846278.

Sous cette même appellation The Bel Canto Violin, 2017 vit la parution en une généreuse anthologie de six doubles CDs des gravures entre juin 1948 et août 1978 du grand violoniste italo-britannique Alfredo Campoli (1906-1991), réédition menée de main de maître par le toujours entreprenant label Eloquence, et d’une qualité telle qu’elle semblait définitive ; est-ce donc d’autant plus étonnant que le label australien remette tout sur le métier ? Eh bien certainement pas : tant du point de vue technique que de l’exhaustivité et la présentation, cette édition surclasse la précédente : la numérisation de 2024 a permis un retour aux sources pour notamment corriger de très petites pertes de bande (dropouts) et de rétablir la version stéréo des œuvres concertantes dirigées par Piero [Pierino] Gamba (1936-2022) en octobre 1956 -la plus-value sonore est évidente ; le retour aux couplages et pochettes d’origine, avec parfois généreusement deux LPs par CD lorsque possible, font de cette édition la véritable référence actuelle.

Mais ce qui différencie surtout cette publication de la précédente, c’est la présence des sept premiers CDs dévolus aux gravures 78 tours des débuts discographiques de Campoli dès 1931, souvent enregistrées aux mythiques Chenil Galleries de Chelsea et Decca Studios, West Hampstead, Londres : alors que la dépression des années 1920 et 1930 réduisait la demande d’artistes classiques, Campoli gagna sa vie avec divers orchestres de musique légère ; le tout premier enregistrement de Campoli chez Decca, la Sérénade n° 1 op. 21 de Jonny Heykens (1884-1945) avec le Dorchester Hotel Orchestra, a été réalisé le 16 juin 1931 ; s’ensuivit une multitude de gravures avec son Salon Orchestra (à partir de janvier 1932), son Grand -ou Concert- Orchestra (1934), son Marimba Tango Orchestra (1935), avec un orgue de cinéma, divers pianistes, un trio avec piano et en tant que leader du Welbeck Light String Quartet (1940) avant de devenir l’un des principaux solistes d’œuvres concertantes de Decca à partir des années 1950.

Précisons qu’il ne s’agit pas ici d’une édition vraiment intégrale des gravures d’Alfredo Campoli : Mark Obert-Thorn, auteur des restaurations audio impeccables des 78 tours, spécifie que n’y sont pas présentes les pages « non classiques », donc supposées de variété ; toutefois il faut bien reconnaître que la frontière ici est plutôt floue ! Par ailleurs, bien que les arrangements soient réalisés avec respect de l’original, distinction et haut niveau de musicalité, et que Campoli s’entoure à son égal de musiciens de haut niveau, certains mélomanes trouveront ces arrangements probablement sacrilèges, surtout les pots-pourris de toutes sortes, pratique issue d’une époque révolue correspondant aux enregistrements acoustiques… Il est donc recommandé -contrairement aux gravures dites classiques- de ne pas écouter ces CDs d’affilée.

Quoi qu’il en soit, si l’on peut y trouver çà et là de petites perles, comme le charmant et un temps célèbre Narcissus d’Ethelbert Nevin (1862-1901), ou le poétique Pale Moon de Frederic Knight Logan (1871-1928), « chant d’amour indien » dédié à la soprano Rosa Raisa (1893-1963), l’essentiel de ce coffret restera toujours ce précieux corpus d’œuvres concertantes pour lequel Campoli, avec la totale confiance de Decca, s’entoure judicieusement de partenaires adéquats, comme il a toujours su le faire dès ses tout débuts : sans compter les pianistes accompagnateurs de tous les instants, impossible de passer sous silence les chefs d’orchestre de légende tels que Josef Krips (1902-1974) nous offrant un Concerto en ré majeur, op. 61 de Beethoven tout en classicisme, lumière et poésie ; Eduard van Beinum (1900-1959) précis, énergique, vivant dans le Concerto n° 2 en mi mineur, op. 64 de Mendelssohn et la Symphonie espagnole en ré mineur, op. 21 de Lalo (les cinq mouvements, fait rare en 1953), Campoli y mariant tour à tour douceur et vigueur avec bonheur ; Adrian Boult (1889-1983), choix évident face à un Campoli impérial dans le Concerto en si mineur, op. 61 d’Elgar, dédié à Fritz Kreisler dont en quelque sorte Campoli serait bien l’héritier spirituel, la Fantaisie écossaise en mi bémol majeur, op. 46 de Bruch, et la seconde version (stéréo cette fois) du Concerto n° 2 en mi mineur, op. 64 de Mendelssohn ; Ataúlfo Argenta (1913-1958) dans un Concerto en ré majeur, op. 35 de Tchaïkovski chauffé à blanc et très personnel… 

Le compositeur britannique Arthur Bliss (1891-1975), nommé Master of the Queen’s Music en 1953 après le décès d’Arnold Bax précédent détenteur du poste, fut chargé par la BBC d’écrire un Concerto pour violon. Bliss choisit en confiance Campoli comme soliste et dédicataire, et tous deux ont enregistré le Concerto en novembre 1955, le compositeur à la direction. Après avoir enregistré intégralement le deuxième mouvement Scherzo (Vivo) du concerto, Bliss a décidé d’une coupure d’environ une minute de musique, et cette version abrégée a été gravée pour le LP original, mais la portion de bande coupée a été préservée et ensuite restaurée. Les deux versions sont donc présentes pour la première fois dans cette édition. Campoli montre ici sa parfaite maîtrise d’une œuvre qui vient de naître, superbe mais d’une technique redoutable, et dont violoniste et chef-compositeur nous livre d’évidence la version de référence.

Probablement par snobisme en raison de ses liens avec la musique de salon, Alfredo Campoli n’a jamais été aussi populaire sur le continent que dans les pays anglo-saxons, l’Europe étant plus axée sur des personnalités telles que notamment Francescatti, Grumiaux, Heifetz, Menuhin, Milstein, Stern et, bien sûr, Oïstrakh qui, par ailleurs, pour resituer les choses, considérait néanmoins Campoli comme « l’un des plus grands violonistes du monde » : c’est tout dire.

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 9 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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