Retour brillant d'un chef-d'oeuvre parfait

par

Anne-Catherine Gillet et Cyrille Dubois © Larraine Wauters/Opéra Royal de Wallonie

Le Domino noir de Daniel-François-Esprit Auber.
Excellente initiative de l'Opéra Royal de Wallonie de remonter ce Domino noir (1837), opus le plus joué d'Auber, avant Fra Diavolo, Le Maçon ou La Muette de Portici. Ce succès immense rend incompréhensible l'oubli dans lequel il est tombé, d'autant plus que nous avons pu nous rendre compte de son intérêt par l'intégrale studio publiée en 1995 chez Decca, dirigée par Richard Bonynge, avec Sumi Jo dans le rôle-titre.

Depuis est sortie également une version historique de Jules Gressier (1950), avec Janine Micheau (Malibran). Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur de l'ORW, semble en effet beaucoup priser Auber : il a fait d'ailleurs (re)découvrir Fra Diavolo et Manon Lescaut, et les amateurs d'opéra-comique ne pourront que l'en remercier. Fruit accompli de la collaboration Auber-Scribe, Le Domino noir raconte les tentatives désespérées d'Horace de Massarena de retrouver Angèle de Olivarès, qu'il a rencontrée au bal de Noël de la reine d'Espagne, masquée sous un domino noir. Pour le plus grand malheur de son amant, Angèle doit prononcer ses voeux en tant qu'abbesse d'un couvent, mais, in fine, la reine lui permet d'épouser Horace. Trame amusante, aux constants rebondissements : on ne s'ennuie pas une seconde. D'autant plus que la partition d'Auber est "étincelante, toute de légèreté, de souplesse, de grâce et élégance" (J. Commons). En effet, le compositeur de plus de quarante opéras-comiques a rarement été plus inventif. Pas un "tunnel", pas un instant d'abandon, pas une marque de faiblesse - ce qui arrive parfois chez lui - mais un jaillissement éblouissant d'airs, duos, trios ou ensembles. On peut certes penser à Mozart ou à Rossini, modèles aimés, mais souvent, Auber annonce la magnifique floraison ultérieure de la musique française, celle de Gounod et de Bizet. La production liégeoise, très étudiée, bénéficiait avant tout d'un extraordinaire travail d'équipe, reconnu par tous ses participants. Un grand bravo à la mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, ce dernier sociétaire de la Comédie-Française. Jamais ils n'avaient mis en scène d'opéra. Coup d'essai, coup de maître assurément. Dramaturgie très vivante, pleine d'idées amusantes et d'inventivité, souvent au second degré. Le souper du deuxième acte était, à cet égard, spécialement bien mis en place, décors et costumes de tous âges, et direction d'acteurs au cordeau. Sans oublier le cochon, qui accompagnait le chant sur sa table de service : hilarant ! Les moments où Angèle se trouve déguisée en servante Inésille, et confrontée au couple de domestiques Jacinthe-Gil Perez, étaient à mourir de rire. Tout aussi brillant, le troisième acte, au couvent, dans un décor bleuté un peu irréel, a frappé, avec ses démons ricanants et ses cariatides animées. Et ces nonnes rieuses, aux cornettes blanches, s'amusaient tout autant que le public. Les chanteurs, tous excellents acteurs, mettaient parfaitement en valeur cette mise en scène follement enjouée. Anne-Catherine Gillet tout d'abord, domino noir exceptionnel : Auber lui a confié trois airs, dont la virtuose aragonaise "La belle Inès fait florès", et son évocation d'une soirée mouvementée à l'acte III "Ah Quelle nuit !". Elle y fut irrésistible, tout comme dans le ravissant  duo avec Gil Perez "L'espoir en moi se glisse" avec un Laurent Kubla très en voix. Horace raffiné de Cyrille Dubois, jeune chanteur fort demandé, et dont l'air "Amour, vient finir mon supplice" fut un des clous de la soirée. Marie Lenormand, engoncée dans une robe qui la grossissait expressément, s'est taillé un beau succès en Jacinthe : elle est née pour les planches, tout en ayant une voix remarquable. Vocalement, il faut décerner une palme à Antoinette Dennefeld : sa Brigitte a ravi du début jusqu'à la fin, en particulier dans l'air au III "Au réfectoire, à la prière", au charme désarmant, fort applaudi. François Rougier incarnait Juliano, l'ami d'Horace, très complice, Laurent Montel un Lord Elfort british pas possible, Tatiana Mamonov une soeur tourière à l'intervention brève mais impressionnante, et l'actrice Sylvia Bergé, autre sociétaire de la Comédie-Française, une soeur Ursule pleine de morgue ambitieuse. Bravo aux marionnettistes et aux danseurs qui ont agrémenté le spectacle de leurs facéties. Bravo enfin à Patrick Davin, grand habitué de la scène liégeoise, amoureux de la partition - on le remarquait dès la pétillante ouverture. Il a mené l'ouvrage avec un entrain d'enfer, ne s'arrêtant jamais. On se doit de signaler l'impressionnant finale de l'acte II pour sa mise en place exceptionnelle, certainement difficile à réaliser. En conclusion, une soirée mémorable, révélant un chef-d'oeuvre qui, à juste titre, reprend sa place parmi les plus beaux opéras-comiques de tous les temps. Prochaine étape : Le Cheval de bronze ?
Bruno Peeters
Opéra Royal de Wallonie, le 23 février 2018

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