Oliver Triendl, pianiste sans limites

par

Le pianiste Oliver Triendl a remporté un prix spécial des ICMA 2025.  Son imposante discographie qui propose plus de 150 enregistrements témoigne de son engagement en tant que défenseur du répertoire classique et romantique rarement joué, ainsi que de son soutien aux compositeurs contemporains. Cette  interview a été réalisée par Monica Isăcescu Lup de Radio România Muzical, membre du jury de des ICMA.

Le jury des ICMA vous décrit comme l'un des pianistes les plus curieux de notre époque. Vous n'avez pas choisi la voie confortable des partitions connues, mais vous êtes un explorateur constant des archives, à la recherche d'œuvres précieuses mais rarement jouées. Ma première question est la suivante : quel a été le point de départ de vos explorations ? Quelle a été la première découverte qui vous a conduit sur le chemin de la découverte d'œuvres inconnues ?

Tout d'abord, je suis très honoré de recevoir ce prix. Et il est tout à fait vrai que j'ai essayé de suivre cette voie oubliée ou inconnue. Cela ne veut pas dire que je ne m'intéresse pas à Tchaïkovski, Brahms, Bach ou Beethoven. Mais pour moi, c'est une partie très importante de ma vie que de consacrer mon temps, mon travail et mon enthousiasme à ce genre d'œuvres et de compositeurs.

D'une certaine manière, mon intérêt particulier pour ces compositeurs et leurs œuvres, et pour la musique inconnue en général, est né lorsque je jouais, par exemple, un quatuor à piano de Brahms. J'ai toujours été curieux parce que Brahms n'était pas le seul compositeur de son époque et il savait certainement qu'il y avait beaucoup d'autres compositeurs qui sont oubliés ou presque oubliés aujourd'hui, au XXIe siècle. Mais ils étaient là et je pense que tous ces compositeurs ont toujours eu une certaine influence les uns sur les autres. Je pense qu'il est important de le savoir et j'ai toujours été très curieux de découvrir, de voir et d'établir des relations entre les compositeurs. Au fil du temps, j'ai eu l'occasion d'enregistrer de la musique, car j'ai toujours aimé enregistrer et documenter la musique moins connue. C'est devenu une véritable passion.

En parlant d'exploration, vous avez réalisé plus de 150 enregistrements de grande valeur au fil des ans. Quelles sont vos sources pour trouver ces partitions ?

Il y a plusieurs types de sources. Tout d'abord, j'ai accumulé beaucoup de choses au fil des ans. J'ai une bibliothèque assez importante. J'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup de disques et de livres. Je pense qu'il est très important d'apprendre à faire des recherches, car on ne peut pas tout trouver sur Internet. Bien sûr, on peut trouver beaucoup de choses sur internet de nos jours, mais je compte parmi mes amis de nombreux musicologues. Et, bien sûr, il faut savoir à qui demander. Il est donc important d'avoir un vaste réseau, de rencontrer les bonnes personnes et de poser les bonnes questions. Il s'agit donc d'un domaine très vaste.

Soit je voyage pour jouer, soit je suis à la maison en train de passer du temps avec ma femme, soit je rencontre des gens... mais en fait, tous les jours, je suis impliqué dans ce type de recherche d'une manière ou d'une autre. Par exemple, il y a un peu plus d'un an, j'étais en Roumanie et j'ai donné un récital de piano à Ploiești avec l'orchestre philharmonique de Paul Constantinescu. J'ai bien sûr rencontré des gens sur place, posé des questions sur la musique de Constantinescu, et le lendemain, après le concert, j'ai rencontré Dan Dediu à Bucarest, dans son bureau, et il m'a bien sûr montré des partitions, etc. Nous avons eu une conversation très agréable et avons parlé des compositeurs roumains. J'ai donc été à nouveau influencé et inspiré par cette conversation.

Entre le moment où vous découvrez une partition inconnue et celui où elle fait l'objet d'un enregistrement, quel est votre processus, à la fois analytique et interprétatif ?

Tout d'abord, j'enregistre principalement pour Hänssler, CPO et Capriccio. Vous savez, vous obtenez la partition d'une pièce que vous ne connaissez pas. Bien sûr, il y a parfois des sources comme YouTube ou dans ma bibliothèque, dans ma collection de disques. Je peux peut-être trouver d'autres pièces des mêmes compositeurs. Mais avant tout, je pense que le principal problème est la partition. Il faut pouvoir lire la partition. En général, je me mets au piano, je m'assois et j'essaie de comprendre de quel genre de musique il s'agit. C'est alors que j'ai une première impression. Bien sûr, à ce moment-là, je ne suis pas capable de jouer ou d'interpréter le morceau, mais mon expérience me donne une certaine impression. Ensuite, j'ai une idée : est-ce que c'est intéressant, moins intéressant ou très intéressant, ou est-ce que c'est quelque chose que je devrais vraiment essayer de m’approprier ? De nos jours, il n'est pas facile d'enregistrer des disques, c'est une question d'argent, car chaque enregistrement  coûte beaucoup d'argent. D'autre part, ce n'est pas facile pour les maisons de disques. Elles ne vendent plus beaucoup de copies de nos jours. C'est donc principalement le streaming qui est en cause. Mais je pense qu'il est important de faire des enregistrements, de diffuser la musique.

En Roumanie, Paul Constantinescu est un nom connu de tous, mais comme vous l'avez dit, dans le paysage culturel européen plus large, c'est un compositeur extrêmement rare. Comment avez-vous convaincu l'Orchestre philharmonique d'Allemagne du Nord de Rostock et le chef d'orchestre Marcus Bosch de se joindre à vous dans cette aventure et d'enregistrer non seulement le concerto pour piano, mais aussi le poème chorégraphique Noces dans les Carpates ?

Vous savez, Marcus Bosch est avant tout un ami, et nous avons déjà travaillé ensemble. Et il n'a pas été difficile de le convaincre, car il est très ouvert d'esprit. Il est aussi, comme moi, intéressé par les compositeurs moins connus. Il ne connaissait pas les œuvres de Paul Constantinescu. Je lui ai envoyé des liens YouTube, j'avais les partitions... Il n'a donc pas été difficile dans ce cas de programmer ces deux pièces de Constantinescu. Nous avons également pu compter sur l'aide de Stefan Lang, un producteur radio à la retraite de la Radio nationale allemande à Berlin.

Donc, pour revenir à ce que vous disiez tout à l'heure, en ce qui concerne les maisons de disques, on peut supposer que la sélection des enregistrements produits est également influencée par des critères pragmatiques, tels que la possibilité de commercialisation d'un enregistrement. Comment les maisons de disques accueillent-elles vos propositions et quel public visez-vous avec ces enregistrements d'œuvres précieuses mais moins connues ?

J'entretiens de bonnes relations avec Hänssler, CPO et Capriccio, et nous communiquons. Bien sûr, si vous enregistrez ces compositeurs moins connus, ce n'est pas pour le grand public. Ce n'est pas pour des milliers et des milliers de personnes. En général, les personnes qui achètent ce type d'enregistrements sont des collectionneurs, qui doivent également être très ouverts d'esprit et curieux. Mais je pense qu'il y a encore beaucoup de collectionneurs dans le monde qui cherchent quelque chose de nouveau dans leur collection.

Quels sont vos projets futurs ?

Il y a beaucoup de choses en préparation. Je ne peux pas en parler parce que je ne suis pas sûr à 100 %, mais l'un des prochains projets est le concerto pour piano de Josef Schelb. C'était un compositeur allemand de la fin de la période romantique. J'ai déjà enregistré certaines de ses œuvres. Ensuite, il y a le Concerto pour piano de Johanna Senfter. Elle était l'élève de Max Reger et une compositrice très intéressante. J'ai enregistré toutes ses œuvres pour alto et piano sur CD il y a deux ans, également pour Hänssler. Mais celle-ci sera pour CPO avec l'orchestre philharmonique de la NDR. Capriccio rééditera le concerto pour piano d'Emil von Sauer et le concerto pour piano de Konrad Ansorge, tous deux élèves de Liszt. Sauer était plutôt un pianiste et Ansorge était probablement l'élève de Liszt le plus intéressant en matière de composition.

Je viens de publier le Concerto pour piano d'Antal Dorati, qui est l'un des plus importants concertos pour piano que j'ai découverts, en combinaison avec des œuvres orchestrales de Mátyás Seiber, un autre Hongrois. J'espère vraiment pouvoir réaliser un nouveau projet avec de la musique roumaine. En fait, c'est juste une question de financement !

Quelle sera la prochaine étape ? Ce n'est pas facile à dire parce qu'il y a tellement de choses. Une nouvelle sortie pour CPO sera Vítězslav Novák, un compositeur tchèque, qui a écrit un incroyable concerto pour piano. Je l'adore. Je le jouerai également à l'automne.

Il y a donc beaucoup de projets, en fait, mais il faut un effort supplémentaire pour leur donner vie. En fait, je travaille sur ce genre de choses tous les jours. Et à notre époque, ce n'est pas facile. Mais je fais de mon mieux et je reste optimiste. Je pense que c'est très important, car il faut parfois beaucoup d'énergie et d'efforts pour faire avancer les choses, mais je n'abandonne pas.

Le site d'Oliver Triendl : https://www.oliver-triendl.com/english/index.php

Propos recueillis par Monica Isăcescu Lup. Traduction et adaptation Crescendo-Magazine.

Crédits photographiques : Wildundleise

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.