Salomé à l’opéra de Vienne

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Heureusement l’opéra Salomé est aussi représenté en dehors de Paris. Si la mise en scène de l’opéra de Vienne est moins sordide que celle de Lydia Steier, elle n’est pas moins dérangeante. Merci pour nous. Le metteur en scène français Cyril Teste situe l’action au cours d’un dîner mondain chez une famille bourgeoise autrichienne durant les années vingt, rappelant ainsi la proximité de l’œuvre avec la psychanalyse naissante. Un cameraman filme l’évènement. Quand son direct n’est pas projeté en fond de scène, une grande lune y luit. Bien que le cadre de l’œuvre y soit ainsi respecté, certains éléments de mise en scène interloquent. 

Deux gamines muettes, vêtues comme Salomé et la suppléant -l’une en se saoulant, l’autre lors de la danse des sept voiles- l’entourent. Qui sont-elles ? Des réminiscences de l’enfance, insistant sur la pédophilie dans l’œuvre ? Des sœurs ? Encore une fois, la pertinence de personnages silencieux non mentionnées questionne. Sont-ils nécessaires ? 

Outre cela, le jeu entre Salomé et Jochanaan, se touchant, alors que le prophète refuse de se laisser souiller par la princesse et que le bourreau se serve de sa tête décollée comme masque avant de finalement la mettre sur un plateau d’argent, interpellent également.

A côté de cela, d’autres éléments, comme le rouge violent d’abord sur les piliers du jardin, puis sur la lune et en éclairage en fond de scène ou le comique de la dispute des Juifs sont très plaisants.

Et surtout, les interprètes ont très bien compris l’opéra. La soprano finlandaise Camilla Nylund en Salomé peint une jeune princesse perdue dans sa recherche névrotique d’amour. Elle réussit très bien les kyrielles d’aigus straussiens, et son monologue final laisse bien éclater la vérité de son désir. Le baryton-basse écossais Iain Paterson en Jochanaan réussit bien son chant d’airain et de velours, alliant la souplesse mozartienne et la puissance wagnérienne. Quel dommage de l’entendre si sourdement in absencia, depuis sa cellule sous la scène….

Le ténor allemand Gerhard Siegel, utilisant ses ressources d’acteur pour incarner un tétrarque faussement débonnaire, et de chanteur pour la difficile partie de Sprechgesang, donne un Hérode très convaincant. Un sentiment de malaise grandit en le voyant si veule à la fête, méprisant et lâche face à sa femme et, surtout, libidineux et amusé vis-à-vis de sa belle-fille. 

Le trio central est donc bien incarné. 

Les personnages secondaires ne sont pas en reste. La mezzo allemande Michaela Schuster est une Herodias vénéneuse à souhait, avec un chant court et irisé pour envoyer ses piques à son mari et le ténor allemand Daniel Jenz un Narraboth au timbre frais et élancé, coupé dans son élan, en véritable romantique sexuellement frustré.

Les personnages tertiaires comme les gardes du baryton-basse autrichien Wolfgang Bankl et la basse coréenne Stephano Park ou le page de la mezzo autrichienne Patricia Nolz, fermes et claires, sonnent tous juste également.

Mais c’est surtout l’orchestre dirigé par le chef suisse Philippe Jordan brûlant de milles flammes, qui saisit le spectateur. Lyrique et acéré, suivant la trame narrative tout en soulignant là les grands dialogues, ici la danse des sept voiles, là encore le monologue final comme autant de tisons, il fait entendre la modernité cassée, tranchante et cassante de la partition. Comme Reiner ou Keilberth, il fait voisiner la partie orchestrale avec les poèmes symphoniques de Strauss. 

Une excellente soirée, surtout musicalement.

Andreas Rey

Vienne, Staatsoper, 17 juin 2024

Crédits photographiques : Wiener Staatsoper - Michael Pöhn

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