Symphonies d'aujourd'hui et de demain

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Crescendo Magazine poursuit la publication des articles de la série "Ce siècle aura 100 ans" rédigée par Harry Halbreich et publiée en 1998 dans les éditions papiers de Crescendo Magazine.

L'histoire de la Symphonie au XXe siècle, c'est la "chronique d'une mort annoncée"... et sans cesse différée. Une petite liste de compositeurs jetée de mémoire sur le papier donne vite une centaine de noms, dont au moins deux douzaines sont bien vivants : voilà un mourant qui ne se porte pas si mal...

Claude Debussy, que le genre n'attirait pas et qui ignorait Bruckner, Mahler et Sibelius, a écrit cette phrase fameuse, selon laquelle, après la Neuvième de Beethoven, "la preuve de l'inutilité de la Symphonie était faite". Mais déjà les successeurs immédiats de Beethoven s'étaient posé la question, qui ne reçut un début de réponse que vingt ou trente ans après sa mort. De même, sans même tenir compte de Debussy, la question se posa au début de notre siècle : que faire après Mahler, après des Symphonies d'une heure et demie ou davantage mobilisant des centaines d'exécutants ? Son grand contemporain et rival Sibelius donna le premier une réponse radicale : repenser forme et structure de l'intérieur, dans des limites de durée et d'effectifs n'outrepassant pas Beethoven. Sa révolution, comme celle de Beethoven en son temps, a mis un demi-siècle pour porter ses fruits. 

Au début de notre siècle, le problème était, il est vrai, tout différent, lié à la mort du langage tonal traditionnel qui semblait entraîner celle des formes qu'il avait suscitées. Et il est vrai que la forme-sonate, en particulier, implique une dialectique formelle liée à l'idée de tonalité, avec ses modulations, ses contrastes et, précisément, le "plan tonal" qui en conditionne le déroulement. Et il est non moins vrai que celles des Symphonies de notre siècle qui préservent les cadres formels de la Sonate, du Rondo ou du Lied adoptent un langage plus ou moins strictement tonal. Mais on peut, on doit prendre le concept de Symphonie d'une manière moins restrictive, comme Liszt, par exemple, l'avait fait avant Sibelius. Dans ce sens plus large, La Mer de Debussy, par exemple, est une véritable Symphonie, c'est-à-dire une composition orchestrale basée sur le principe de la dialectique des contrastes. En plusieurs mouvements ? Pas forcément : la géniale Sonate de Liszt avait donné un modèle de grande forme d'un seul tenant. Schönberg, dans sa Kammersymphonie op.9 de 1906, puis, de manière beaucoup plus radicale, Sibelius dans sa Septième de 1924, avaient suivi ses traces. Actuellement, les Symphonies "en un mouvement" sont aussi nombreuses que les autres, voire davantage. 

La Symphonie de type traditionnel est basée sur la notion de thème(s) et de développement. Mais là aussi il s'agit d'une possibilité, non d'une nécessité. En dissociant les éléments du problème, nous élargissons le champ des solutions. Car il existe des Symphonies non tonales, voire sérielles, mais "thématiques", alors que Bohuslav Martinu, par exemple, a donné des chefs-d'oeuvre accomplis de Symphonies tonales par leur langage, mais s'éloignant des formes "à thèmes" en faveur de processus de croissance organique, "biologique", à partir de cellules mères, comme Sibelius l'avait déjà fait avant lui. D'autre part, l'abandon du langage tonal, il serait plus exact de dire de la syntaxe tonale, a été précédé par celui de l'unité tonale d'une oeuvre. La plupart des Symphonies de Mahler (et aussi de Carl Nielsen) se terminent dans une tonalité différente de leur début, et ce parcours constitue précisément l'"histoire" de l'oeuvre. Dans la plus strictement "classique" de ses Symphonies, la tragique Sixième, Mahler ressent l'unité tonale (la mineur) comme une insupportable prison, et non plus comme le gage de sécurité qu'elle avait été jusque là (et encore chez Bruckner). Après 1920, les Symphonies, même tonales de langage, préservant une unité tonale, sont minoritaires. Ce sont celles de compositeurs (Roussel, Honegger, Chostakovitch, Prokofiev, Vaughan-Williams...) demeurés fidèles aux cadres formels de la Sonate ou du Rondo, et ce n'est pas un hasard... Enfin, on rappellera une fois de plus ici que dissonance et atonalité ne sont nullement synonymes, qu'en dehors de l'alternative "tonal oder atonal" il existe l'immense domaine modal qui occupe une place de plus en plus essentielle dans la musique de notre siècle, et aussi que la musique du second demi-siècle a "franchi le mur du treizième son" vers le domaine infrachromatique, ce que certains compositeurs audacieux et encore méconnus, comme Alain Bancquart, ont appliqué à la grande forme de la Symphonie.

Il ne saurait être question, dans le cadre de cette étude, de recenser les milliers de Symphonies que ce siècle aura vu naître, et dont le flux s'accroît sans cesse. Nous nous limiterons aux oeuvres de haute valeur, presque toutes accessibles par le CD. De même, il n'entre pas dans notre propos de parler des Symphonies du premier demi-siècle, qui font désormais partie du grand répertoire ou qui devraient en faire partie : Roussel (4 Symphonies), Honegger (5), Hindemith (8), Stravinski (3), Prokofiev (7), Chostakovitch (15), Martinu (6), Vaughan Williams (9), Nielsen (6), Szymanowski (4), et j'en passe, car il vaudrait la peine d'explorer les richesses trop ignorées de leurs contemporains Kurt Weill (2), Milhaud (12), Malipiero (17  ?), Villa-Lobos (12), sans compter la pléthorique école américaine des Harris (14), Piston (8), William Schuman (10) et autres... Mais avant d'aborder le second demi-siècle, il faut rappeler quelques oeuvres ou cycles d'exception, tranchant sur la production de leur époque par leur caractère novateur, voire révolutionnaire. Comment passer sous silence la colossale Quatrième de Charles Ives (1916) ou la Turangalîlâ-Symphonie d'Olivier Messiaen (1949), classique largement populaire, qui n'ont en commun que leur géniale démesure, relevant d'une conception mahlérienne du genre ("la Symphonie doit être comme le monde, elle doit tout embrasser") ? L'unité des dix mouvements de Turangalîlâ est assurée par les modes, les couleurs et les thèmes cycliques. La notion même de développement y est préservée, au point qu'un mouvement entier, le huitième (Développement de l'amour) lui est consacré. Ayant tout dit dans cette oeuvre-somme, Messiaen n'éprouva d'ailleurs plus le besoin d'écrire d'autre Symphonie... Une autre Symphonie d'exception, à la limite de l'oratorio, c'est la Deutsche Symphonie (1936-58) de Hanns Eisler sur des poèmes de Bertolt Brecht, chef-d'oeuvre de musique militante antifasciste.

Certains compositeurs occupent dans notre conscience artistique une position qui ne correspond nullement à la chronologie, tellement ils sont en avance sur leur temps : Edgard Varèse en est peut-être l'exemple le plus fameux. La Hollande a eu un visionnaire d'une audace radicale au moins égale en la personne de Matthijs Vermeulen (1888-1967), dont les sept Symphonies échelonnées entre 1914 et 1965, gigantesques coulées de contrepoint polymélodique totalement atonal et néanmoins chantant, s'écartant totalement des schémas formels hérités, constituent l'un des cycles symphoniques les plus fascinants qui soient, ce qui n'est pas une raison pour ignorer les trois Symphonies (surtout la Troisième) de son compatriote Willem Pijper.

Les trois Symphonies (plus une pour cordes) trop ignorées d'André Jolivet, d'une belle sauvagerie, s'inscrivent à leur manière dans le sillage varésien. D'autres compositeurs, élèves directs ou indirects de Schönberg, Berg ou Webern, ont su rendre crédible l'hypothèse d'une Symphonie dodécaphonique, voire sérielle. C'est le cas de l'Anglais Humphrey Searle (5 Symphonies), qui applique "sur le terrain" le fruit des magistrales recherches dans lesquelles il démontre le caractère pré-sériel des procédés lisztiens de métamorphose thématique, de son compatriote Benjamin Frankel (8 Symphonies), du Norvégien solitaire Fartein Valen (4 Symphonies), ou encore de l'Américain Roger Sessions (un ensemble imposant de 9 Symphonies). Mais les chefs-d'oeuvre dans ce domaine sont les quatre Symphonies de Roberto Gerhard (de 1953 à 1967), dont la Troisième (Collages, 1960) fut la première oeuvre orchestrale à intégrer l'électro-acoustique, et l'unique et brève, mais admirable Symphonie en un mouvement (1949-53) de Bernd-Aloys Zimmermann. Un élève viennois de Schönberg de la génération de Berg et Webern, Egon Wellesz, aborda la Symphonie sur le tard, avec quatre oeuvres tonales, suivies de cinq autres sérielles (1945-71). Cet ensemble imposant est l'un des tout derniers que le CD n'ait pas encore abordés... 

Karl-Amadeus Hartmann (1905-63) étudia auprès de Webern, mais n'adopta pas la technique sérielle. Dans un langage atonal hyper-expressif, voire expressionniste au sens d'Alban Berg, mais intégrant le contrepoint transcendant de son compatriote Max Reger et la rythmique stravinskienne, il a écrit huit admirables Symphonies (1938-61), cycle dominé par la Quatrième pour cordes et les trois dernières, qui font de lui le plus éminent symphoniste germanique depuis Mahler. Elles mériteraient une notoriété pour le moins égale à celles d'un Chostakovitch, car elles sont d'une égale générosité expressive, mais d'un langage plus châtié et plus concis. 

L'Angleterre est l'un des grands pays "symphonistes" de ce siècle depuis Elgar, Vaughan Williams, Moeran et Bax. Sans compter les vivants, traités en fin de chapitre, ni Searle et Frankel déjà cités, quatre noms doivent retenir l'attention, ceux de William Alwyn (5 Symphonies), Edmund Rubbra (11), tous deux traditionalistes, mais surtout de Robert Simpson et de Michael Tippett. Robert Simpson, récemment disparu, auteur d'ouvrages exemplaires sur Bruckner et Sibelius, est l'un des architectes symphoniques les plus puissants et les plus originaux du siècle, et ses 11 Symphonies (1949-90), dans un langage tonal très élargi et complexe, proposent des solutions formelles sans cesse renouvelées et atteignent à une vigueur expressive souvent égale à celle de son grand modèle Nielsen. Quant aux 4 Symphonies de Michael Tippett (1945-77), toutes différentes elles aussi (l'immense Troisième est avec soprano solo), ce sont autant de chefs-d'oeuvre d'ores et déjà classiques en maints pays, ceux d'un des très grands créateurs et humanistes de notre temps. Avec les Suédois Allan Pettersson (16 Symphonies), Karl-Birger Blomdahl (3, dont la dernière, Facetter, est l'une des meilleures Symphonies européennes de l'immédiat après-guerre), Daniel Börtz (7) et les Finlandais Joonas Kokkonen (5) et Einar Englund (7), sans compter l'Estonien Suédois d'adoption Eduard Tubin (11), les pays nordiques assurent le lourd héritage de Sibelius et de Nielsen. Les Russes quant à eux ont largement travaillé dans le sillage de Chostakovitch, qu'il s'agisse de Moissei Vainberg (21 Symphonies) ou de Boris Tichtchenko (6). Dans leur unique Symphonie, le regretté Edison Denisov et surtout la grande Sofia Goubaïdoulina s'en écartent tout à fait. Sa Symphonie ...Stimmen verstummen... (...Des voix se taisent...) comporte douze mouvements enchaînés, dont... une cadence pour chef d'orchestre !...

Parmi les grands symphonistes disparus, on ne saurait oublier le Hongrois Laszlo Lajtha (1892-1963 ; 9 Symphonies, en cours d'enregistrement), le "troisième grand" de son pays à côté de Bartok et de Kodaly, ni les deux Polonais Andrzej Panufnik (10 Symphonies) et surtout Witold Lutoslawski, dont les 4 Symphonies (1947-92) sont toutes des chefs-d'oeuvre, même la quelque peu néo-classique Première, injustement oubliée aujourd'hui. Les autres intègrent de manière très originale les procédés d'écriture "aléatoire contrôlée" propres à toute sa musique, l'une des plus directement expressives et des plus chatoyantes de ce siècle. Si lui aussi est déjà un classique internationalement reconnu, il reste à découvrir le grand compositeur coréen (allemand d'adoption) Isang Yun (1917-95) qui, en peu d'années, édifia un cycle monumental de 5 Symphonies (1982-87), la dernière avec baryton solo, parfaite synthèse de l'Orient et de la grande tradition symphonique européenne. Sans être tonale, sa musique est toujours polarisée autour de certaines notes-pivots assurant des repères mélodico-harmoniques, mais il faut dire que c'est une tendance partagée par un nombre croissant de compositeurs d'aujourd'hui.

Si, nous tournant à présent vers les compositeurs vivants, nous constatons que la plupart de ceux cultivant la Symphonie font partie des aînés, sexagénaires ou davantage, cela ne signifie pas forcément que leurs cadets ont abandonné le genre, mais plutôt que, depuis Brahms et Bruckner (puis Martinu ou Milhaud), la Symphonie est devenue une forme entourée d'une certaine aura de vénération mystique, qu'un compositeur se doit de n'aborder que parvenu à la pleine maturité de son art. Parmi les compositeurs les plus brillants de la jeune et moyenne génération existent aujourd'hui de par le monde des tempéraments d'authentiques symphonistes, et je ne serais pas étonné de voir bientôt un Magnus Lindberg ou un Pascal Dusapin produire une vraie Symphonie. D'ailleurs notre compatriote Luc Brewaeys leur a damé le pion : à trente-cinq ans il était déjà l'auteur de 5 Symphonies magistrales. 

Parmi les glorieux aînés, certains ont accédé déjà au rang de classiques. C'est le cas d'Henri Dutilleux et de ses deux admirables Symphonies, déjà anciennes (1951-59). S'il a abandonné ensuite le genre, c'est qu'il a trouvé un cadre plus libre et plus concis pour son travail de métamorphose organique, ou plutôt, pour reprendre le titre d'un chef-d'oeuvre ultérieur, de Métaboles. Si les 4 Symphonies de Marcel Landowski, dans le sillage honeggerien, ont acquis également une juste notoriété, il n'en va pas de même (discographie nulle !) pour les 5 créations monumentales (la dernière dépasse l'heure) de son compatriote Alain Bancquart (sans compter une Symphonie de Chambre et une Symphonie concertante), qui réussit à renouveler complètement le genre grâce à l'usage intensif de la microtonalité (quarts de ton). C'est une musique intensément expressive dans son austérité grandiose, qui peut revendiquer fièrement son héritage brucknérien. 

Franchissant le Rhin, nous avons le très fécond Hans-Werner Henze qui vient d'achever sa Neuvième, monumentale et avec soli et choeurs comme il se doit, et qui paraît sur CD ce mois-ci (seule la Huitième n'a pas encore eu les honneurs du disque). C'est une production généreuse, mais éclectique et inégale, aux franges de la post-modernité. J'accorde personnellement une importance tout autre aux 6 Symphonies (les deux suivantes sont déjà annoncées) écrites depuis 1976 par Peter Maxwell Davies dans sa retraite écossaise balayée des vents. Ces oeuvres complexes et monumentales (elles durent toutes entre 40 minutes et une heure, sauf la Cinquième qui est en un mouvement) reflètent dans leur austérité les rudes paysages qui les virent naître mais atteignent à une singulière force d'émotion. Je ne suis pas seul à penser que c'est le cycle symphonique le plus important de notre temps qui est en train de s'édifier ainsi, dans l'héritage magnifié et enrichi de Sibelius, et dans un langage atonal, mais "polarisé". Il faut persévérer dans l'écoute d'une musique qui ne livre pas d'emblée tous ses secrets. A l'opposé de la complexité de "Max", on trouve aujourd'hui toute une série de symphonistes "méditatifs" ou "planants", puissamment médiatisés : l'illustre Troisième Symphonie de Gorecki est dans toutes les mémoires, et elle est en passe d'être rejointe par les 7 Symphonies de Gija Kancheli, d'une terrible pauvreté. Mais, ainsi qu'il a été dit dans un précédent article de cette série, il y a beaucoup mieux dans le genre, et même d'authentiques chefs-d'oeuvre, comme la Septième (Angel of Light) du Finlandais Einojuhani Rautavaara, succédant à six autres très différentes l'une de l'autre, de la néo-brucknérienne Troisième à la post-sérielle Quatrième. Les 6 Symphonies de son compatriote Aulis Sallinen, surtout connu par ses Opéras, et les 10 (à ce jour) de leur cadet Kalevi Aho se situent plutôt dans le sillage de l'éclectisme post-moderne d'un Alfred Schnittke, qui vient d'achever sa Neuvième malgré un état de santé plus que précaire. Dépouillées jusqu'à l'os, les trois précédentes s'en ressentaient, contrairement à leurs aînées, dont l'immense et chaotique Première, cri de révolte anarchique en pleine glaciation brejnevienne, alors que les Deuxième (Saint Florian, hommage à Bruckner) et Quatrième reflètent les préoccupations religieuses du compositeur, partagées par tant de ses compatriotes. Je suis plutôt sceptique quant à l'avenir de la musique de Schnittke, mais parmi les compositeurs les plus originaux de l'ex-URSS, il convient de citer l'Arménien Avet Terterian (mort en 1994 en laissant 8 Symphonies) et l'Estonien Lepo Sumera dont la récente Cinquième, délaissant le minimalisme un peu sommaire de ses aînées, est une oeuvre forte et dense. Et n'oublions pas le grand vétéran ukrainien Valentin Silvestrov (6 Symphonies à ce jour) dont l'émouvante et très méditative Cinquième a connu un retentissement mérité. Bouclons ce tour d'Europe par un bref retour en Pologne, avec les 5 Symphonies de Penderecki, d'intérêt bien inégal en leur post-romantisme plutôt pesant, à l'exception de la Première, antérieure à cette phase de son évolution. Mais nous sommes loin de l'écriture subtile et racée d'un Lutoslawski ! Les compositeurs roumains sont trop peu connus chez nous, et pourtant Anatol Vieru (6 Symphonies) et Stefan Niculescu (3) sont des créateurs de premier plan. Depuis quelques années, l'Espagne, qui n'a jamais produit de Symphonies notoires dans le passé (sauf celles de l'exilé Gerhard) est en train de se créer une vraie tradition symphonique grâce à Carmelo Bernaola (3 Symphonies) et surtout Tomas Marco (6). Les Etats-Unis, quant à eux, continuent à produire des Symphonies par centaines, presque toutes dans le style néo-tonal post-romantique qui fait fureur là-bas. Ce que l'avenir retiendra des Symphonies d'Ellen Taaffe Zwilich, d'Aaron Jay Kernis, voire du vétéran Lou Harrison et de leurs nombreux émules paraît fort incertain, et il semble qu'il s'agit plutôt de musiques pour consommation immédiate, ce qui n'est pas condamnable en soi. Il reste que le Nestor de la musique américaine, "complexiste" structuraliste s'il en est, Elliott Carter, fait de plus en plus figure de glorieux isolé, avec sa Symphonie de trois Orchestres de 1976 succédant à la très néo-classique Première de 1942. Tout récemment, Carter, quasi-nonagénaire dans une forme éblouissante, a réuni trois pages orchestrales des dernières années, Partita, Adagio sombroso et Allegro scorrevole, pour en faire une nouvelle Sinfonia de grande envergure. Et nous terminerons ce panorama de la Symphonie du second demi-siècle par un retour en arrière d'une trentaine d'années, symbolisant à l'avance d'une manière exemplaire toutes les contradictions esthétiques et humaines de cette fin de millénaire, dans un coup de chapeau à l'esprit du grand espoir avorté de mai 1968 : la Sinfonia de Luciano Berio, avec son Scherzo de Mahler "vampirisé" et ses collages de musiques et de textes disparates. Aux antipodes du purisme stylistique d'un Carter, elle retrouve la volonté d'universalisme qui fut déjà celle de Mahler : "la Symphonie doit être comme le monde, elle doit tout embrasser". Ce à quoi les tenants d'une autre esthétique (dont je suis) répondront par "qui trop embrasse mal étreint". Dieu seul départagera les siens... Mais la lecture de cet article vous aura convaincus que la Symphonie a encore de beaux jours devant elle.

Harry Halbreich

Crédits photographiques : Pixabay

 

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