On ne présente plus la cheffe d'orchestre Laurence Equilbey devenue depuis plusieurs années une figure incontournable et médiatique de la musique classique. Au pupitre de son orchestre, cette entrepreneuse de la musique nous propose un nouvel enregistrement dédié au Freischütz de Carl Maria von Weber.
Pourquoi avez-vous initié ce projet Freischütz ?
J’aime beaucoup l’époque où a été composé cet opéra. Bon nombre de compositeurs cherchent alors à faire évoluer le langage, l’harmonie, la couleur, la dynamique, le traitement des instruments. Ils explorent de nouvelles formes qui puissent aboutir à de grandes scènes "durchkomponiert", c’est-à-dire conçues d’un seul tenant, comme celle de la "Gorge aux Loups" dans Le Freischütz. Dans les années 1810-1820, des musiciens comme Weber, Schubert et Beethoven manifestent le besoin d’une énergie nouvelle, l’envie de faire éclore une symbiose entre théâtre, sentiment et musique. L’abstraction des symphonies de Haydn est de moins en moins de saison. Pour ma part, j’apprécie les nouveautés, celles qui font avancer le cours de la musique. De ce point de vue, Le Freischütz est matriciel et inaugure le genre de l’opéra romantique allemand.
C’est une œuvre très populaire dans les pays germaniques mais qui reste assez marginale dans les pays francophones, à l'exception de son illustre "ouverture". Qu’est-ce qui vous a poussé à diriger cette partition et à en enregistrer des extraits ?
Pour quiconque est touché par la musique du début du XIXe siècle, le Freischütz est un passage obligé et représente beaucoup. Plus qu’un chef-d’oeuvre, c’est un acte fondateur : il s’agit d’un des premiers, si ce n’est du premier grand opéra romantique allemand. En France, Berlioz l’a défendu bec et ongles (il l’a traduit et arrangé) autant qu’il s’en est inspiré pour inventer une nouvelle palette orchestrale ; quant à Wagner, il a déclaré en 1873 à son épouse Cosima : « Si je n’avais pas été ému par les oeuvres de Weber, je crois que je ne serais jamais devenu musicien ! ». C’est dire l’importance de cet opéra. Les deux derniers enregistrements qui ont fait date, celui de Carlos Kleiber et celui de Nikolaus Harnoncourt plus récemment, sont exceptionnels, joués avec des orchestres modernes. Parallèlement, la discographie avec instruments d’époque est quasi inexistante. Très étonnamment, alors même que cet opéra a été le point d’ouverture de grandes innovations musicales, les orchestres sur instruments d’époque s’en sont encore très peu emparés. C’est la raison qui nous a motivés à y travailler à notre tour.