Tchaïkovsky et Chostakovitch au Festival Transsiberien à Strasbourg

par

Il y a un mois, juste avant le confinement, lorsque des concerts commençaient à être annulés, nous avons eu la chance de pouvoir assister, à Strasbourg, à deux concerts du Festival Transsibérien, deux des derniers qui se maintenaient encore.

« Transsiberian Art Festival » a été créé en 2014 par le violoniste Vadim Repin dans sa ville natale de Novossibirsk. La manifestation est bâtie avec l’idée d’une union des cultures de différentes villes russes mais également entre celles de l’Orient et de l’Occident. Le festival s’est exporté en décembre dernier à Lille et a recueilli un grand succès. Outre Vadim Repin, le violoncelliste Alexander Kniazev et le pianiste Andreï Korobeïnikov sont au cœur de la musique et ils étaient également présents en mars à ma « station » Strasbourg dans le cadre des Saisons Russes de l’Orchestre.

Le 6 mars, un concert symphonique avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg s’est tenu à la Salle Erasme. Au programme : Chorós Chordón (2017) de la compositrice coréenne Unsuk Chin (née en 1961), le Concerto pour violon et orchestre en la mineur op. 82 d’Alexandre Glazounov ; et enfin, après l’entracte, la Symphonie n° 4 en fa mineur op. 36 de Piotr Ilitch Tchaïkovsky.

Commande de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, Chorós Chordón est une œuvre d’une dizaine de minute qui sollicite un important ensemble de percussions. Sur un tapis sonore « cosmique », des notes isolées tenues par un instrument ou un groupe d’instruments, surgissent bout par bout, comme de petites explosions dans une bouillon primaire. Les percussions dans des combinaisons différentes enrichissent constamment ce tissus sonore jusqu’à ce que l’orchestre entier devienne une gigantesque entité de cellules vivantes. Les cordes et les harmonies participent également à son enrichissement, notamment par les effets mystérieux créés par la sourdine. La musique est tellement organique que la place occupée par chaque instrument peut être comparée à une fonction physiologique… Une expérience musicale à vivre.

Le Concerto de Glazounov a été interprété par Vadim Repin sans tellement de contraste, tout comme l’orchestre qui manquait de relief. Le violoniste, malgré sa parfaite connaissance de l’œuvre, donne l’impression qu’il est un peu tombé dans la routine. A quoi s’ajoutent des problèmes de justesse, surtout sur les aigus, particulièrement perceptibles dans le finale…

Dans la deuxième partie, la chef coréenne Shyeon Sung mène la Symphonie n°4 de Tchaïkovsky avec grande clarté. Ses gestes dynamiques traduisent sa lecture à la fois rationnelle et intuitive permettant de tirer le meilleur de l’orchestre. Dans le troisième mouvement, les cuivres gardent la douceur sans perdre la vigueur, et au finale, Sung réussit à varier remarquablement le texture sonore, rendant ce mouvement le plus exaltant de cette soirée, même si l’orchestre ne semblait pas avoir atteint le sommet de sa capacité.

Le concert du 7 mars, intitulé « La Russie, entre bouleversements et souffrances », était consacré à la musique de chambre russe : Trio « A la mémoire d’un grand artiste » de Piotr Ilitch Tchaïkovsky et le Deuxième Trio de Dmitri Chostakovitch, toujours à la Salle Erasme (voir notre article sur le concert du 6 mars). Malheureusement, cette salle n’est pas adaptée à la musique de chambre. Son acoustique, fuyante, rend l’équilibre entre les instruments difficilement audible : le son des cordes n’arrive pas tout à fait aux oreilles ; quant au piano, il résonne un peu dans le vide. Sauf probablement pour ceux qui sont tout près des musiciens.

Le programme imprimé annonce d’abord Chostakovitch puis Tchaïkovsky sans entracte, mais les musiciens ont décidé au dernier moment d’inverser l’ordre et d'ajouter une courte pause entre les deux œuvres. Mais était-ce bonne idée ? Quelle qu'en soit la raison, les auditeurs ont épuisé une grande partie de leur concentration dans l’intense Trio de Tchaïkovsky et, même avec un entracte, nous n’avons plus la même qualité d’écoute. Dans le thème et variations du seconde mouvement de Tchaïkovsky, le piano d’Andrei Korobeinikov tient une place prédominante ; il joue certains passages avec une douceur à fondre en ppp (par exemple la reprise du thème), ou la variation-mazurka dans une joyeuse légèreté. Le violoncelliste Alexander Kniazev, par les véritables coups d’archet de maître, confère une belle ampleur à l’ensemble. Vadim Repin tient bien sa part, mais comme la veille, quelques problèmes de justesse effacent hélas ses qualités pourtant nombreuses, notamment la portée du son.

Dans Chostakovitch, les trois interprètes excellent notamment dans la vigueur du 2e et du 4e mouvements. Cela est si marquant que les deux autres mouvements sont un peu effacés, bien que leur interprétation relève d’une beauté languissante au début du 1er mouvement, et triste et nostalgique dans le 3e.

Strasbourg, Palais de la Musique et des Congrès, 6 et 7 mars 2020

Victoria Okada

Crédits photographiques :  © OPS

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.