Tout vibre : l’exploration des trous noirs selon Hèctor Parra 

par

Hèctor Parra (1976-): …Limite les rêves au-délà. Arne Deforce, violoncelle ;  Thomas Goepfer, électronique.  71’38 – 2022 – Livret en : anglais, français. Passacaille Plus. PAS 9702. 

Mieux connu depuis le succès récent de son opéra, Les Bienveillantes, créé en 2019 à Anvers, Hèctor Parra (1976-) propose ici une œuvre ambitieuse, de plus d’une heure, pour violoncelle et électronique live -respectivement aux mains d’Arne Deforce et de Thomas Goepfer-, voyage psychoacoustique qui se veut une exploration au-delà de notre expérience sensorielle ordinaire, développé main dans la main avec l’astrophysicien (et poète) français Jean-Pierre Luminet -il a collaboré avec Gérard Grisey pour Le Noir de l’étoile, pièce pour six percussionnistes disposés autour du public, bande magnétique et transmission in situ de signaux astronomiques, créée aux Halles de Schaerbeek en 1991 pour Ars Musica-, spécialiste des trous noirs, ces abysses de l’espace-temps. L’esprit éveillé à la physique et à ses intrigantes théories (après une première période, colorimétrique, où il s’attache à transférer la couleur vers le son -autrement dit, à transformer les propriétés de la première en paramètres et motifs du second-, d’une façon bien éloignée des expériences synesthésiques d’Olivier Messiaen), le compositeur, natif de Barcelone mais étudiant à Lyon, Paris ou Genève, élève de Brian Ferneyhough, Jonathan Harvey ou Michael Jarrell, approfondit une veine déjà défrichée lors de l’écriture de Caressant l’horizon, en 2011, lui qui, avant ses 30 ans et en réponse à une commande de l’IRCAM (où il est compositeur associé), affirme un idéal artistique fait d’une « pulsion énergétique résultant de la friction entre différents flux temporels ». Cet intérêt pour les sciences empiriques -qui lui vient de son père, maître de conférences en physique fondamentale à l’Université de Barcelone- et qui guide plusieurs de ses pièces, dont …Limite les rêves au-délà, il le magnifie, loin du formalisme d’écriture contraignant qu’on aurait pu supposer, en ciblant « la beauté, l’intuition, l’élégance, le sentiment intime d’une perfection finalement achevée », que partagent, selon sa conviction, scientifiques et artistes. C’est ainsi que Parra et Deforce poussent dans cette pièce singulière la gestualité propre au violoncelle un pas plus loin et y titillent les frontières physiques du rapport entre l’instrument et l’instrumentiste, distordant l’énergie sonore, elle-même propulsée par les manipulations de l’électronique : autant de petits fragments mâchouillés, d’abord relativement homogènes, avant de se transformer en des masses plus âpres, résistantes et d’entrer dans une densité tourbillonnante (le trou noir lui-même) qui s’enfuit alors en un cycle dilatation/rétrécissement, annonciateur du passage, à la gravité insensée, au travers du trou de ver. C’est un peu la version du paradis imaginée par le compositeur, difficile d’accès mais étonnante.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.