Un Concert de l’An bien maussade à Genève

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Chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande conserve une tradition, celle d’organiser un concert de l’an d’allure festive, en invitant un chef et un ou deux solistes prestigieux. Le Victoria Hall se pare de créations florales conçues par la firme Fleuriot, consistant, en cette année 2019, en deux gigantesques paons arrimés aux cintres exhibant un plumage d’une rare fantaisie. Mais en ce mercredi 9 janvier, leur ramage exerce-t-il sur la salle une semblable fascination ? Etions-nous vraiment à la fête avec le programme si peu émoustillant proposé par le chef grenoblois Emmanuel Krivine ?

Sous sa baguette, Les Préludes, le troisième des Poèmes Symphoniques de Franz Liszt, aujourd’hui encore sa page orchestrale la mieux connue, est abordé dans un pianissimo très lent d’où prennent source quelques vagues de cordes trop vite couvertes par un pupitre de bois trop présent. Et ce déséquilibre se propage ensuite dans l’évocation des éléments naturels contrastés, dominant une existence où manque singulièrement ici l’une des sèves vitales, la passion dévorante, tant le geste du chef s’investit peu dans une lecture péremptoire ne cultivant que la netteté du trait.

La même impression se dégagera ensuite de cette longue fantaisie tripartite qu’est Die Seejungfrau, élaborée par Alexander von Zemlinsky entre 1902 et 1903 d’après le célèbre conte de Hans Christian Andersen, La Petite Sirène. Après une introduction empreinte d’une énigmatique tristesse, s’impose une luxuriance du discours, laissant pointer en filigrane le Strauss d’Ein Heldenleben ou le Wagner de Das Rheingold ; mais pourquoi le saucissonner par nombre de cassures en points d’orgue, quand il ne demande qu’à se répandre voluptueusement ? Face à ces blocs touffus qu’acidifient les cuivres, affleure néanmoins sporadiquement un lyrisme à la Delius, expression d’un désarroi qui finit par toucher.

Au cœur d’une morosité si étouffante, le Premier Concerto pour piano et orchestre en mi bémol majeur de Franz Liszt concrétise la seule parure d’éclat. Car Evgeny Kissin en assume brillamment la partie soliste, en glissant un ritenuto dans les successions d’octaves et en profitant de la qualité du jeu perlé pour iriser le cantabile, même si pointe un certain maniérisme calculé. Mais la perfection du trille dynamise avantageusement le scherzo et le finale. Remportant le seul véritable succès de la soirée, il concède deux bis, un Tango de son propre cru qui a trop écouté le Prokofiev de la Toccata op.11 et une Quinzième Valse de Brahms, au délié envoûtant, d’où naît enfin l’émotion…

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 9 janvier 2019

Crédits photographiques : Philippe Hurlin

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